Comment la Croix-Rouge cherche à réunir les familles séparées par les conflits ou la crise migratoire
CRISE MIGRATOIRE Le service de Rétablissement des liens familiaux de la Croix-Rouge cherche à remettre en contact les membres d’une famille séparés par les conflits, les catastrophes humanitaires et, depuis quelques années, la crise migratoire…
- Depuis ses débuts, la Croix-Rouge tâche de réunir les membres des familles que les conflits ou les catastrophes humanitaires ont séparées.
- La crise migratoire a fait augmenter le nombre de demandes passées auprès du service dédié de l’association, le service de Rétablissement des liens familiaux (RLF).
- Les officiers de recherches accomplissent un travail de fourmi, douloureux pour eux et, surtout, pour les bénéficiaires.
Lorsqu’ils ont quitté Kunduz (Afghanistan), alors aux mains des Talibans, en octobre 2015, ils étaient six. Aujourd’hui, Jan Agha*, 17 ans, se retrouve seul au monde, placé dans un foyer de la région Centre-Val-de-Loire. Ses trois frères, sa sœur, leur mère, l’adolescent en a été séparé après une descente de policiers dans le camp où ils avaient trouvé refuge, en Bulgarie. « Il y a eu une énorme bousculade. Et puis je n’ai plus retrouvé personne. » C’était au tout début de leur exil. Il ne connaissait pas le numéro du seul de ses frères en possession d’un téléphone portable. Pour ce qui est des réseaux sociaux, autant dire que, depuis sa province afghane en guerre, il n’en connaissait pas l’existence.
Rendu « fou » d’avoir perdu sa famille
A son arrivée en France, après avoir traversé, dans des conditions sur lesquelles il ne veut pas revenir, la Serbie, la Hongrie, l’Autriche ou encore l’Allemagne, Jan Agha était « comme fou ». Fou d’ignorer où se trouvait sa famille, voire si elle était encore bel et bien de ce monde.
Les yeux du jeune homme, bien rasé sur un côté et gominé sur le dessus, se chargent de larmes pendant que le traducteur Andar Abdul Mageed termine de rapporter cet infernal récit. Wendy Blanchet, officier de recherches du service Rétablissement des liens familiaux (RLF) de la Croix-Rouge, fixe l’adolescent avant de le prévenir : « Les recherches peuvent être longues. »
L’une des missions intrinsèques de la Croix-Rouge, outre l’assistance médicale, est « la recherche et la réunification des membres des familles brisées par les conflits, les catastrophes naturelles et humanitaires et, depuis quelques années, la crise migratoire », expose Marie Ortholary. Une mission qui s’est réellement structurée à la création du service RLF**, en 1959. « Elle trouve ses fondements dans les conventions de Genève de 1949 », reprend l’officier de recherches qui travaille au siège national de la Croix-Rouge, dans le 14e arrondissement parisien. Selon le protocole additionnel I des conventions de Genève, relatif à la protection des victimes des conflits internationaux, « connaître le sort d’un proche porté disparu est un droit ».
Pour ce faire, les quelque soixante salariées et bénévoles du service répartis aux quatre coins de la France*** procèdent à deux types de recherches, de longue haleine. Celles qui proviennent de leurs homologues étrangers (la Croix-Rouge s’appuie sur des relais dans 189 pays) et qui concernent des personnes a priori présentes en France ; celles qui concernent des personnes qui sont dans l’Hexagone et qui recherchent un proche à l’étranger, comme c’est le cas pour Jan Agha.
« Une aide gratuite et confidentielle »
« Quelle que soit sa situation administrative, qu’elle soit majeure ou mineure, toute personne peut bénéficier de l’aide gratuite et confidentielle du service RLF », insiste Marie Ortholary, non sans préciser : « A condition qu’elle soit bien victime d’un conflit, par exemple. Les disparitions inquiétantes ne sont pas traitées ! »
Identité complète de la personne disparue, photo, particularités physiques, derniers vêtements portés, lieux habituellement fréquentés… Pendant près de deux heures, Agha a rempli un dossier de demande de recherches ultra détaillé. Il s’est aussi inscrit sur Trace The Face (Suivez le visage), un site Internet où chaque bénéficiaire (4107 actuellement) peut mettre en ligne sa photo dans l'espoir d'être reconnu par ses proches.
« Toutes les étapes sont délicates, car, bien souvent, la personne a vécu des choses traumatisantes dont elle ne veut pas se souvenir, mais dont nos équipes sur le terrain et nos homologues à l'étranger ont besoin pour optimiser les recherches », explique Marie Ortholary.
Guillemette Blanc, 26 ans, spécialisée dans les dossiers liés à la République démocratique du Congo (RDC), concède traverser elle aussi des moments éprouvants à l’étude des quelque 120 dossiers qui lui incombent : « On entend des histoires très dures et il faut faire en sorte de ne pas les ramener à la maison le soir. » En revanche, lorsque le service réussit à réunir des familles, la satisfaction est immense. Mercredi, un homme originaire de RDC et domicilié à Paris a pu retrouver sa femme, dans l’ouest de la France. Ils ne s’étaient pas vus depuis trois ans, mais chacun avait entrepris des démarches auprès de la Croix-Rouge.
Retrouvés, qu’ils soient vivants ou morts
En 2016, le service RLF a enregistré 750 demandes de recherches, dont 170 liées à la migration (contre 70 en 2015) : « 46 % ont abouti, que la personne ait été retrouvée vivante ou décédée », précise Marie Ortholary. Des chiffres qui devraient connaître une forte augmentation cette année. Une loi votée le 29 décembre permet à l’association d'obtenir, dans le cadre de recherches sur le sol national, des documents que l’administration lui refusait auparavant, souvent pour des raisons de confidentialité. « Une avancée inestimable, surtout pour les recherches de migrants », estime Marie Ortholary.
* Le prénom a été changé.
** Les deux grandes autres activités du service RLF sont la transmission de nouvelles à caractère familial et personnel entre des personnes d'une même famille grâce aux Messages Croix-Rouge et la délivrance de pièces officielles, telles que les attestations de privation de liberté.
*** Amiens, Toulouse, Bordeaux, Rennes, Marseille, Lyon + le service itinérant des Hauts-de-France.