Mort d'un étudiant libéré par la Corée du Nord: Que sait-on des conditions de détention?

DIPLOMATIE L’étudiant américain avait été arrêté en janvier 2016 pour avoir tenté de voler une affiche de propagande. Il est mort quelques jours après sa libération…

Delphine Bancaud
— 
Le 29 février 2016, l'étudiant américain Otto Warmbier à Pyongyang.
AP Photo/Kim Kwang Hyon
Le 29 février 2016, l'étudiant américain Otto Warmbier à Pyongyang. AP Photo/Kim Kwang Hyon — Kim Kwang Hyon/AP/SIPA
  • Le système carcéral du pays est considéré comme un secret d’État
  • Mais l’on sait que les prisonniers sont incarcérés dans des camps de rééducation par le travail
  • Les détenus étrangers semblent bénéficier de conditions de détention un peu moins dures que les locaux, car ils sont une monnaie d’échange politique pour les autorités

Mais qu’est-il arrivé à Otto Warmbier ? L’étudiant américain de 22 ans rapatrié le 13 juin dans le coma après 18 mois de détention en Corée du Nord est décédé lundi.  Donald Trump a dénoncé un régime nord-coréen « brutal » : « Beaucoup de choses terribles se sont passées. Mais au moins, nous l’avons ramené chez lui pour qu’il soit avec ses parents », a-t-il ajouté dans un communiqué, soulignant sa détermination « à empêcher que des innocents ne subissent de telles tragédies aux mains de régimes qui ne respectent pas l’Etat de droit ou la décence la plus élémentaire ». L’occasion pour 20 Minutes d’interroger des spécialistes sur les conditions de détention dans ce pays.

Dans quelles conditions sont détenus les prisonniers étrangers ?

« Lors des 20 dernières années, 17 Américains ont été arrêtés et détenus. Actuellement, il en restek 3. Ils sont souvent condamnés pour « subversion », « espionnage », « prosélytisme », ou pour différents actes jugés répréhensibles par le régime », explique Dorian Malovic, auteur de La Corée du Nord en 100 questions*. « Le système carcéral est considéré comme un secret d’État. Il n’existe aucune source d’information directe sur le sujet. Ce que l’on sait provient du croisement de témoignages », ajoute  Juliette Morillot, historienne, spécialiste de la Corée du Nord.

« D’après tous les témoignages que j’ai récoltés, les prisonniers étrangers n’ont pas les mêmes conditions de détention que les Nord-coréens. Et ils sembleraient qu’elles soient un peu moins difficiles, car ces prisonniers sont une monnaie d’échange politique, donc il faut les maintenir dans un état de santé correct », poursuit-elle. « Mais ça ne veut pas dire pour autant qu’il existe des prisons VIP. Les étrangers sont envoyés dans des grands camps de rééducation par le travail. Mais ils occupent des bâtiments spécifiques et sont souvent placés à l’isolement », précise Dorian Malovic. Ils travaillent dans des champs, des mines, ou des usines. « Concernant la nourriture, ils sont très rationnés en fonction de leur âge et de leur poids », poursuit Juliette Morillot.

Les prisonniers nord-coréens subissent-ils un traitement plus dur ?

« Il semblerait que oui. Outre le travail harassant qu’on leur impose dans les camps de rétention, ils y vivent sans hygiène et dans une promiscuité absolue, ce qui fait que les maladies se transmettent vite », indique Dorian Malovic.

« Certains détenus passent toute leur vie dans ces camps et y meurent. Ceux qui y sont incarcérés pour des délits jugés mineurs, peuvent être libérés au bout d’un certain délai ou à la faveur d’une grâce intervenant lors d’une cérémonie nationale », poursuit-il.

La torture est-elle pratiquée ?

« D’après les témoignages de Nord-coréens qui se sont échappés ou qui ont été libérés, les personnes arrêtées sont interrogées de façon très virulente. Et l’on exerce sur elles des tortures psychologiques (menace d’exécution factice…) et parfois mêmes physiques " indique Dorian Malovic. mais on leur infligerait des violences qui ne laissent pas de traces. Comme l’immersion dans de l’eau jusqu’à la suffocation, l’attachement sur une chaise pendant des jours… . « Concernant les étrangers qui ont été incarcérés par  Pyongyang, puis libérés, il est plus difficile de savoir s’ils ont subi des tortures. Ils ont forcément raconté aux services secrets de leur pays leurs conditions de détention. Mais lors des négociations avec les autorités nord-coréennes, leur pays s’est sans doute engagé à ne pas médiatiser les mauvais traitements subis par les prisonniers », ajoute Juliette Morillot.

Quels sont les différents scénarios autour de la mort de l’étudiant américain ?

« Il semble qu’il y ait eu une bavure terrible. Tout d’abord car tous les proches d’Otto Warmbier décrivent cet homme de 22 ans comme un grand sportif en pleine santé avant son incarcération à Pyongyang. Il est difficile de croire qu’il ait connu un problème de santé là-bas », estime Dorian Malovic. Un avis partagé par Juliette Morillot : « La Corée du Nord a tendance à préserver les prisonniers américains, considérés comme une monnaie d’échange. A-t-il subi de mauvais traitements, a-t-il rencontré un problème de santé qui n’a pas été pris en charge assez rapidement ? A-t-il fait une tentative de suicide ? » s’interroge-t-elle.

*La Corée du Nord en 100 questions,  Dorian Malovic et Juliette Morillot, Ed. Thallandier, 2016, 15,90 euros.