Attentat à Berlin: 100.000 euros promis pour Anis Amri, l'Europe à l'heure du «Far West»

ANTITERRORISME Le système de récompense et de mise à prix ne fait pas partie de la culture française. L'Allemagne y a parfois recours mais à un niveau bien moins institutionnalisé qu'aux Etats-Unis...

Philippe Berry
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L'appel à témoin lancé par la police allemande pour retrouver Anis Amri, suspecté d'être l'auteur de l'attentat de Berlin.
L'appel à témoin lancé par la police allemande pour retrouver Anis Amri, suspecté d'être l'auteur de l'attentat de Berlin. — POLICE

« Une récompense allant jusqu’à 100.000 euros sera versée pour toute information menant à la capture du suspect. » L’appel au public pour localiser le Tunisien Anis Amri, suspecté d’être l’auteur de l’attentat au camion de Berlin, a été lancé par la Bundeskriminalamt (BKA) la police fédérale allemande, mercredi. Et si l’annonce rappelle forcément le « top 10 most wanted » du FBI, elle se justifie par le caractère « exceptionnel » de l’affaire, « avec un suspect armé qui représente une menace immédiate pour la sécurité des citoyens », relève Alain Rodier. Mais le directeur de recherche du Centre français de renseignement (CF2R), le souligne, « une telle mise à prix n’est pas dans la culture européenne ». « Ici, ce n’est pas le Far West », lâche l’expert.

Chasseurs de prime et top 10 « most wanted » du FBI

Aux Etats-Unis, le système, hérité du Commonwealth, est institutionnel. Les fameux posters « Wanted » étaient émis par les autorités locales ou fédérales aux premiers jours de l’Amérique. Pour la capture de Billy the Kid ? 500 dollars. Celle de Jesse James ? 5.000 dollars. Jusqu’à 50.000 dollars pour l’assassin de Lincoln.


La légitimité des fameux chasseurs de prime a été validée par une décision de la Cour suprême de 1872. Aujourd’hui, on les appelle des « bail enforcement agents ». Environ 1.200 agents indépendants « chassent » les personnes qui se font la malle pendant leur libération sous caution. Ils touchent une prime quand ils appréhendent un suspect, qui peut ensuite comparaître devant un tribunal.

Parallèlement, le FBI a mis en place sa fameuse liste des « 10 criminels les plus recherchés » à l’initiative de son directeur, J.Edgar Hoover, en 1950. Une récompense de 100.000 dollars est offerte pour leur capture, le plus souvent dans des affaires de meurtres. Selon les chiffres officiels de 2014, 94 % des 504 fugitifs placés sur la liste ont été interpellés – dans un tiers des cas avec l’aide du public. Parfois, le montant s’envole, comme les deux millions de dollars touchés par une ex-miss Islande dans le cadre de la capture du parrain de la mafia de Boston, « Whitey » Bulger, en 2011. Il s’agit de l’argent du contribuable, mais les récompenses représentent au final une fraction assez faible des 8 milliards de dollars du budget annuel du FBI.

L’obscur système des indics

En France et en Europe, tout se fait sous le manteau. « Les récompenses existent, mais c’est la mise à prix qui est rare », précise Alain Rodier. Dans son livre sur les indics*, le journaliste du Figaro Christophe Cornevin explique que le Bureau central des sources fixe les tarifs et le Directeur central de la police judiciaire signe le versement des fonds, en cash. Des ordres de grandeur : 50 euros pour la dénonciation d’un étranger en situation irrégulière, entre 5.000 et 10.000 euros pour un renseignement débouchant sur le démantèlement d’un trafic de drogue et jusqu’à 100.000 euros pour « des informations concernant certains dossiers d’envergure internationale ». Les dérives sont sévèrement punies. L’ancien « superflic » Michel Neyret, qui arrosait ses « tontons » avec de la drogue prélevée sur des saisies, en sait quelque chose : l’été dernier, il a été condamné à deux ans et demi de prison pour « trafic d’influence et corruption ».

125 millions de dollars versés par le programme Rewards for Justice

Dans le cadre de la lutte antiterroriste, les Etats-Unis ont également mis en place un système transparent. Si personne, semble-t-il, n’a touché la récompense de 25 millions de dollars pour Oussama Ben Laden, le programme Rewards for Justice, qui dépend du département d’Etat, a déjà versé plus de 125 millions de dollars à « 80 personnes qui ont fourni des informations ayant permis d’empêcher une attaque terroriste ou de juger » un auteur présumé.

Face à la menace terroriste, le système américain peut-il se démocratiser en Europe ? Alain Rodier en doute. Il y a eu des récompenses en Allemagne, notamment dans le cas des attentats et des assassinats commis par la Fraction armée rouge (la « bande à Baader ») et pour certains faits divers non résolus. Mais au niveau européen, sur les 45 criminels les plus recherchés par Europol, seuls trois font l'objet d'une récompense. L’idée de s’appuyer sur « un système basé sur la dénonciation nous rappelle de très mauvais souvenirs » de l’Occupation, estime l’expert. Selon lui, les autorités préfèrent faire appel au sens civique des Européens qu’à leur appât du gain sauf en cas « d’urgence absolue », comme c’est clairement le cas à Berlin. Nous vivons tous dans un monde impitoyable.

Les Indics. Plongée au cœur de cette France de l’ombre qui informe l’État, de Christophe Cornevin, Flammarion, « Enquête », 475p., 21,90€.