Destitution de Dilma Rousseff au Brésil: S'agit-il vraiment d'un coup d'Etat?

AMÉRIQUE LATINE Le Sénat brésilien s'est prononcé ce mercredi pour la destitution définitive de la présidente Dilma Rousseff...

Laure Cometti
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Dilma Rousseff, le 29 août 2016 au Sénat à Brasilia (Brésil).
Dilma Rousseff, le 29 août 2016 au Sénat à Brasilia (Brésil). — CADU GOMES/SIPA

C’est l’acte final d’une telenovela (feuilleton télévisé) commencée il y a neuf mois. Le Sénat brésilien a voté ce mercredi pour la destitution de la présidente  , à  . Le seuil requis des deux tiers de sénateurs a donc été atteint et le vice-président, Michel Temer, va prendre les rênes du pays et s’installer pour deux ans au Planalto, le palais présidentiel, à Brasilia. Calculs politiques, scandales de corruption, sexisme… 20 Minutes passe au crible les ingrédients de cette procédure juridique vivement critiquée au  , à tel point que certains observateurs n’hésitent pas à parler de « coup d’Etat ». 

Une procédure de destitution légale

La procédure de destitution a été lancée car Dilma Rousseff, issue du Parti des travailleurs (PT), comme l’ancien président Lula, est accusée d’avoir maquillé des comptes publics pour camoufler l’ampleur du déficit, via un tour de passe-passe faisant incomber certains frais à des banques publiques, et d’avoir approuvé trois décrets engageant des dépenses sans le feu vert du Parlement.

« Sa culpabilité n’a pas été prouvée et ce sont des sénateurs, et non des magistrats, qui doivent se prononcer sur sa destitution. On peut donc douter de la sérénité des débats et de l’objectivité de ce vote, d’autant que le Sénat est majoritairement dans l’opposition », avance Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l’Iris, spécialiste de l’Amérique latine. « Il y a une instrumentalisation de la Constitution en vue de provoquer l’alternance. »

Pour autant, il n’y a rien d’illégal dans cette procédure et il est excessif de parler de « coup d’Etat » selon Leon Victor Queiroz, professeur de science politique à l’Universidade Federal de Minas Gerais. « Tout ce qui se passe est conforme avec la Constitution », rappelle-t-il auprès du quotidien espagnol . « Il s’agit plutôt d’une erreur stratégique du gouvernement dans l’organisation de sa coalition, qui a abouti à l’élection d’Eduardo Cunha à la tête du Congrès, qui est seul juge dans cette procédure, et détient une légitimité par le vote populaire. »

Une « destitution politique » ?

« C’est une destitution politique », tranche Armelle Enders, maîtresse de conférences à l’Université Paris-Sorbonne. Si  voient dans cette procédure une expression du sexisme de la société brésilienne, les deux chercheurs interrogés par 20 Minutes se contentent de souligner la misogynie des arguments utilisés par les détracteurs de la présidente.

« Dilma Rousseff n’a rien fait pour freiner les investigations de corruption, même lorsqu’elles concernaient son propre camp. Or le PMDB [Parti du mouvement démocratique brésilien, dont est issu Michel Temer] a voulu mettre le couvercle sur ces scandales. »

Corruption partout, justice nulle part ?

Selon la branche brésilienne de l’ONG Transparency International, 58,1 % des députés brésiliens ont ou ont eu des démêlés avec la justice pour des affaires de corruption. En raison de leur immunité, les parlementaires ne répondent pénalement de leurs actes que devant le tribunal suprême. « Il y a une justice à deux vitesses : la destitution de Dilma Rousseff a avancé assez vite, alors que d’autres poursuites traînent en longueur », observe Jean-Jacques Kourliandsky, signataire d’une pétition française « contre le coup d’État au Brésil ».

Ainsi, Eduardo Cunha, inculpé pour « corruption et blanchiment d’argent » dans le cadre du scandale Petrobras et soupçonné d’avoir caché des millions de dollars sur des comptes en Suisse, a quitté la présidence du Congrès en juillet mais il reste député PMDB.

Un changement de régime politique ?

Pour l’historienne du Brésil Armelle Enders, cette destitution « change la nature du régime politique : d’un régime présidentialiste, on passe à un régime parlementaire, sans consultation préalable du peuple », ce que l’on peut assimiler selon elle à un coup d’Etat.

Le parti de Dilma Rousseff et celui de ses rivaux, le PMDB, semblent en tout cas mal partis pour les élections municipales prévues en octobre. Leurs candidats sont à ce jour nettement distancés dans les sondages*, dans les deux plus grosses villes du pays,  et  , par ceux du Parti républicain brésilien (PRB), un parti évangéliste créé en 2005. Un « outsider » pas épargné par les scandales de corruption, mais resté « plus discret pendant la procédure de destitution, qui a lassé l’opinion publique », note Jean-Jacques Kourliandsky.

 

* Sondages publiés le 23 août par l’institut .