Brexit: À Bruxelles, espoirs et incertitude des fonctionnaires européens britanniques

REPORTAGE Des centaines de Britanniques évoluant au sein de la Commission ou du Parlement européen s’interrogent désormais sur l’avenir et la pérennité de leur emploi.

Hélène Sergent
Le Parlement européen à Bruxelles (Belgique).
Le Parlement européen à Bruxelles (Belgique). — SIPANY/SIPA

De notre envoyée spéciale à Bruxelles (Belgique),

« Quand je me suis couché vers 22h jeudi soir, tout allait bien. Quand je me suis levé à 4h pour vérifier les résultats, ça allait encore. Puis quand je me suis réveillé à 6h, le Brexit avait gagné ». Trois jours après les résultats du référendum actant la sortie du Royaume-Uni de l’ Union Européenne, Nicolas*, fonctionnaire européen franco-britannique basé à Bruxelles, confie encore sa « surprise » : « Les récents sondages et les marchés financiers semblaient relativement confiants même si, bien sûr, je savais que le Brexit avait des chances de passer ». Comme lui, des centaines de Britanniques évoluant au sein de la Commission ou du Parlement européen s’interrogent désormais sur l’avenir et la pérennité de leur emploi.

« Un air de funérailles »

John* est arrivé à Bruxelles il y a onze ans. Salarié de l’industrie aéronautique en lien avec la Commission européenne, cet europhile qui a participé au scrutin par voie postale, ne cache pas son inquiétude : « Mes enfants sont scolarisés ici à Bruxelles, nous avons acheté une maison et nous sommes particulièrement intégrés. D’un point de vue purement familial, l’éventualité de devoir déménager dans quelques années ne nous réjouit pas du tout ». Si Martin Schulz et Jean-Claude Juncker, respectivement à la tête du Parlement Européen et de la Commission, ont tenu à rassurer dès le 24 juin les fonctionnaires britanniques quant à leur avenir au sein de ces institutions, l’incertitude demeure. « Le cadre légal de la sortie du Royaume-Uni de l’UE reste encore à déterminer mais manifestement, il y a un risque puisque nos postes sont réservés aux citoyens européens », soupire John.

Même inquiétude pour Henry*, assistant parlementaire d’un député britannique depuis plus d’un an : « Vendredi, c’était très dur de travailler. Nous ne savions pas quoi faire. Mes collègues et moi attendons beaucoup de la réunion de demain mais certains se demandent déjà s’ils doivent chercher un travail ailleurs ». Branché sur la BBC toute la nuit de jeudi à vendredi, le jeune diplômé ne cache pas sa colère : « Pour être honnête je ne m’y attendais pas. Je pensais que la raison finirait par l’emporter sur l’émotion ». Si la plupart des fonctionnaires rencontrés ce lundi aux abords du Parlement confient avoir du mal à réaliser la portée de ce vote, tous disent avoir été durablement marqués par ce 23 juin : « Il flottait dans le quartier comme un air de funérailles », relate John.

La solution de la double nationalité

Pour contrer cette incertitude, Linda*, salariée britannique au Parlement, a trouvé la solution : « Je suis en couple avec un Français depuis un moment. On avait déjà émis le souhait de se marier sans évoquer de date. Après le résultat, mon copain m’a demandé en mariage ! ». Son cas ne serait pas isolé selon Nicolas : « Beaucoup de collègues sont à la recherche d’une double nationalité, certains envisagent de se marier et plus vite que prévu ».

Pour autant, le jeune homme relativise l’urgence de la situation : « À court terme, le Brexit aura peu de conséquences sur les fonctionnaires britanniques. Il faut déjà que l’article 50 acte les négociations entre le Royaume-Uni et l’UE, qui devraient ensuite durer au moins deux ans. En revanche une fois cette période passée, plusieurs questions vont se poser : Les fonctionnaires britanniques vont-ils pouvoir rester ? Qui va payer la retraite de ces fonctionnaires ? ». Des spéculations qui ne rassurent pas leurs proches : « Ce week-end, j’ai eu ma mère et ma belle-mère en pleurs au téléphone, elles s’inquiètent pour mon avenir », glisse Linda.

« On a l’habitude de prendre des coups »

Trois jours après l’annonce du référendum, la peine et la colère persistent : « La campagne a été horrible (…) le pays a été endommagé et il y a un fort sentiment de honte », poursuit la future mariée. Selon Charlotte*, elle aussi employée binationale au Parlement, les médias ont joué un rôle non négligeable sur le résultat définitif : « Les médias européens ne font qu’insister sur les points négatifs de l’UE, montrent du doigt l’UE comme coupable de toutes les difficultés nationales. Ils ne se rendent pas compte de la responsabilité qu’ils ont ».

Malgré tout, Nicolas refuse de céder au pessimisme ambiant : « Les gens ici ont l’habitude d’encaisser les coups et de trouver des alternatives et des solutions, c’est notre job », explique-t-il en balayant la cafétéria du Parlement du regard. Et le trentenaire en veut pour preuve : « Depuis quelques années, on est évalués sur notre résilience lors du concours d’entrée, soit notre potentiel à encaisser les coups. Le Brexit en était un, il y en aura d’autres ».

* Tous les prénoms ont été modifiés