La Turquie utilise la crise des réfugiés syriens pour faire pression sur l'UE

La Turquie utilise la crise des réfugiés syriens pour faire pression sur l'UE

Derrière le refus de la Turquie d'ouvrir sa frontière à la ...
© 2016 AFP

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Derrière le refus de la Turquie d'ouvrir sa frontière à la nouvelle vague de réfugiés syriens qui ont fui la bataille d'Alep se joue le bras de fer qu'elle a engagé avec Bruxelles sur la crise des migrants et sa volonté de peser sur le conflit syrien, jugent les analystes.

+ Comment la Turquie gère-t-elle cet afflux de réfugiés ?

Quelque 30.000 civils, pour l'essentiel des femmes et des enfants, font depuis plusieurs jours le siège du poste-frontière turc d'Oncupinar, dans le froid et une extrême précarité.

Hormis une poignée de blessés à traiter en urgence, les autorités turques n'ont pas permis à ces réfugiés d'entrer. «Notre objectif pour l'instant est de maintenir autant que possible cette vague de migrants au-delà des frontières de la Turquie», a résumé lundi soir le vice-Premier ministre Numan Kurtulmus.

Des ONG turques ont été autorisées à traverser la frontière pour organiser en Syrie, avec d'autres ONG étrangères, le séjour des réfugiés. Tentes, nourriture, couvertures, des tonnes de matériel transitent chaque jour entre les deux pays.

Malgré cette volonté délibérée de contenir le flux des réfugiés sur le territoire syrien, le Premier ministre Ahmet Davutoglu a promis qu'ils pourraient entrer en Turquie «quand ce sera nécessaire».

+ Pourquoi la Turquie a-t-elle fermé sa frontière ?

La Turquie accueille déjà à elle seule 2,7 millions de Syriens. Depuis la semaine dernière, ses autorités expliquent leur décision en disant que ce nombre constitue la «limite» de ses capacités d'absorption.

Mais ce refus cache d'autres motivations. Mieux contrôler sa frontière à l'heure de la menace islamiste, notamment. «Mais la principale raison est de mettre la pression sur l'Europe pour qu'elle accueille plus de réfugiés», juge Sinan Ülgen, directeur du Centre d'études sur les affaires politiques et économiques (Edam) d'Istanbul.

Ankara et l'Union européenne (UE) ont signé en novembre un accord pour tenter d'enrayer le flot des migrants partant des côtes turques vers la Grèce. En échange de trois milliards d'euros et d'une relance du processus en vue de son adhésion, la Turquie s'est engagée à mieux contrôler ses frontières maritimes et à lutter contre les passeurs.

Mais cet accord n'a eu que peu d'effet. Les Européens exigent des Turcs qu'ils agissent plus, vite. Les Turcs leur reprochent en retour de ne pas accueillir assez de réfugiés.

+ Qu'est-ce que la Turquie veut obtenir de l'Europe ?

Dans ce contexte, la tension monte et, en coulisses, les tractations vont bon train.

Le site d'information grec en-ligne euro2day.gr a révélé lundi le compte-rendu, non démenti, d'une discussion en novembre entre le président turc Recep Tayyip Erdogan, le président du Conseil européen Donald Tusk et celui de la Commission Jean-Claude Juncker, notamment sur le montant de l'aide européenne.

«On peut ouvrir les portes vers la Grèce et la Bulgarie quand on veut, et on peut aussi faire monter les réfugiés dans des cars», a menacé M. Erdogan.

Les Turcs ont en outre peu goûté l'appel à l'ouverture de leurs frontières aux déplacés d'Alep lancé par l'UE au nom d'un «devoir moral».

Le quotidien proche du gouvernement turc Sabah a réagi par un éditorial au vitriol. «Ces dirigeants européens qui blâment la Turquie à chaque tragédie concernant les réfugiés devraient réaliser que l'agitation sociale qu'ils connaissent n'est rien comparé à ce qu'elle sera lorsque le compte-gouttes sera devenu inondation», écrit-il mardi.

«La Turquie veut obtenir plus de concessions, notamment plus d'argent de l'UE», résume Marc Piérini, ex-ambassadeur de l'UE à Ankara, et chercheur à la fondation Carnegie Europe, «c'est un marchandage pas très glorieux, notamment pour l'Europe qui a mis sous le tapis ses valeurs de démocratie et de liberté».

+ Les Turcs utilisent-ils cette crise pour d'autres raisons ?

Certains voient dans l'accueil des réfugiés à la frontière syro-turque une esquisse des fameuses «zones de sécurité» qu'Ankara réclame depuis des mois, sans succès.

«Elles ne peuvent être que provisoires», tempère M. Ülgen. «La Turquie finira par ouvrir sa frontière car elle n'a pas les moyens seule d'entretenir ces zones, surtout depuis l'entrée en jeu des Russes aux côtés des troupes syriennes».

Autre intérêt pour la Turquie, la zone d'Azaz où se concentrent les déplacés coupe la route vers l'ouest des Kurdes de Syrie, considérés par Ankara comme des «terroristes».

«Si les Turcs veulent créer une zone de sécurité, ce n'est pas pour le bonheur des réfugiés», relève M. Piérini, «mais simplement pour empêcher que toute leur frontière ne soit occupée par les Kurdes».

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