En Turquie, des réfugiés Syriens racontent «l'enfer» d'Alep sous les bombes
"Le bombardement ? Personne ne peut décrire ça". Dans sa chambre de l'hôpital turc de Kilis (sud), Mahmud Turki raconte "l'enfer" dans lequel sa vie a brutalement basculé depuis que l'armée syrienne, soutenue par Moscou, a lancé son assaut sur Alep.© 2016 AFP
«Le bombardement ? Personne ne peut décrire ça». Dans sa chambre de l'hôpital turc de Kilis (sud), Mahmud Turki raconte «l'enfer» dans lequel sa vie a brutalement basculé depuis que l'armée syrienne, soutenue par Moscou, a lancé son assaut sur Alep.
C'était un soir normal, le soleil était en train de se coucher sur la localité de Minnigh, au nord d'Alep. Ce paysan âgé de 45 ans regardait la télévision dans son canapé après avoir dîné en famille. Lorsque soudain, la foudre russe s'est abattue sur sa maison.
«J'ai perdu connaissance», se souvient aujourd'hui Mahmud, des sutures plein la tête et des cicatrices sur tout le corps. «Le toit s'est effondré sur moi et mes enfants. Je me souviens juste de la voix de ma femme qui me demandait si j'étais mort ou vivant», poursuit-il, «c'était un moment terrible».
Comme les dizaines de milliers d'autres civils qui ont fui la bataille d'Alep, Mahmud a pris la route du nord vers la frontière turque. Tous s'y massent dans des camps de fortune en attendant un improbable laisser-passer.
Avec quelques autres, lui a pu rejoindre la Turquie dès vendredi pour y être soigné.
Dans une chambre voisine, Alaa Najjar se remet lentement d'une blessure à épaule. Lui aussi a été victime d'une frappe aérienne qui a visé Marea, juste au nord d'Alep.
«C'était l'enfer. On ne pouvait plus supporter les bombardements. Mêmes nos animaux n'en pouvaient plus», décrit-il, évoquant jusqu'à quatre frappes par jour. «J'ai un chaton. Lorsqu'il entendait le bruit des avions, il courait se cacher sous le lit. Si même les animaux ont si peur, comment des humains peuvent-ils supporter ça ?»
L'armée russe est entrée en scène en Syrie l'automne dernier. Son intervention aux côtés du président Bachar al-Assad a été présentée comme une opération contre le groupe Etat islamique (EI) et les autres groupes jihadistes en guerre contre le régime.
Les Occidentaux accusent depuis Moscou, qui s'en défend, de viser aussi l'opposition syrienne dite modérée qu'ils soutiennent.
- 'Assiégés' -
Ces dernières semaines, la participation russe a permis aux troupes fidèles à M. Assad de progresser de façon significative contre la rébellion, notamment autour d'Alep (nord), la deuxième ville de Syrie, où elle est menacée d'encerclement.
«La situation est très mauvaise», témoigne Mohamad, un combattant rebelle blessé à la jambe et au doigt qui a pu traverser la frontière turque mardi avec ses béquilles.
«Les gens fuient. La ville a été complètement détruite par les frappes aériennes russes», ajoute cet homme âgé de 30 ans, qui affirme avoir perdu son père dans un bombardement russe. «Nous sommes assiégés par les Russes, les Kurdes à l'ouest, Daech (le groupe Etat islamique) à l'est et le régime (syrien)».
Avant la guerre civile, Alep était considérée comme le poumon économique de la Syrie. Une ville active, riche de nombreux monuments comme son souk et sa citadelle. Depuis la mi-2012, elle a été ravagée par des combats meurtriers et se trouve de fait divisée entre les rebelles, à l'est, et l'armée régulière, à l'ouest.
Lancée il y a huit jours, l'offensive du régime menace la rébellion mais aussi l'approvisionnement des 350.000 civils présents dans les quartiers de la ville qu'elle contrôle, qui risquent d'être privés de nourriture, d'eau et de fuel.
Mahmud Turki est arrivé en Turquie en ambulance. Sa famille a pu le rejoindre à peine trois jours plus tard. Une chance rare. Eux aussi coincés sous les décombres de leur maison, sa fille Raghad et son fils Mussa souffrent de fractures du crâne.
«Qui nous a attaqués ?», demande le père à son fils. «Les bombardements de Bachar», répond le gamin, 4 ans.
Aujourd'hui, M. Turki dénonce la passivité du monde en Syrie. «Il n'y a pas de communauté internationale, pas d'ONU, pas de Genève (théâtre des pourparlers de paix). Les ONG sont un mensonge, le Conseil de sécurité est un mensonge».
Plus que tout, le Syrien en veut au président russe Vladimir Poutine. Ironiquement, il montre ces deux enfants: «ce sont des membres de Daech visés par les frappes aériennes de Poutine». Avant d'ajouter, cinglant: «Poutine, le meurtrier, le tueur d'enfants».