Le Débarquement vu par les Allemands, les Russes et les Américains

HISTOIRE Pour les Etats-Unis, la France ou l’Allemagne, le 6-Juin ne revêt pas la même signification...

Nicolas Beunaiche
— 
Un soldat britannique dans le cimetière militaire de Ranville, en Normandie, le 4 juin 2014.
Un soldat britannique dans le cimetière militaire de Ranville, en Normandie, le 4 juin 2014. — JEAN-SEBASTIEN EVRARD / AFP

Vendredi, les chefs d’Etat salueront unanimement la victoire du monde libre contre la barbarie et rendront hommage aux soldats qui ont permis de rétablir la paix en Europe. Mais le Débarquement du 6 juin 1944 n’a pas pour autant la même signification pour l’ensemble des grandes puissances. Décryptage.

Vu de France. La France a un statut particulier de victime et bénéficiaire du Débarquement. En 1944, a rappelé le ministère de la Défense dans un communiqué jeudi, «près de 20.000 Normands ont perdu la vie, essentiellement dans les bombardements». Au prix de ces pertes, les Alliés ont malgré tout libéré le pays du joug nazi et c’est surtout cela que François Hollande célébrera vendredi. Par ailleurs, en organisant ces commémorations régulièrement, «la France montre aussi qu’elle est capable de réunir 19 chefs d’Etat. Ce n’est pas rien quand on se rappelle sa situation en 1944», ajoute Robert Belot, historien de la Seconde Guerre mondiale.

Vu des Etats-Unis. Un seul président américain, George Bush père, a manqué les commémorations du Débarquement depuis Jimmy Carter en près de quarante ans. Et pour cause: les soldats américains formaient un tiers du contingent de soldats débarqués ou parachutés le 6 juin 1944. Barack Obama leur rendra certainement hommage comme en 2009, quand il avait défini le Débarquement comme «un moment et un endroit où la bravoure et la générosité de quelques-uns ont permis de changer le cours du siècle entier». Mais outre l’engagement de son pays dans la Seconde Guerre mondiale, le président américain sera aussi en Normandie pour «réaffirmer le lien transatlantique» entre les Etats-Unis et l’Europe et rappeler au Vieux-Continent qu’il «doit beaucoup aux Américains», analyse Robert Belot.

Vu de Grande-Bretagne. Les Britanniques sont les premiers contributeurs, en termes de soldats, à l’opération Overlord, tandis que Winston Churchill a joué un rôle moteur dans l’organisation des contre-offensives. La présence de la reine Elisabeth II est donc tout à fait logique. Vendredi, elle célébrera la participation de son pays à l’effort de guerre mais aussi son entente avec les Etats-Unis, son allié naturel. Robert Belot rappelle d’ailleurs cette célèbre phrase de Churchill: «Chaque fois qu’il nous faudra choisir entre l’Europe et le grand large, nous choisirons le grand large».

Vu d’Allemagne. La présence d’Angela Merkel fait aujourd’hui consensus, mais l’invitation d’un chancelier allemand aux commémorations du 6-Juin est une pratique qui ne remonte qu’à 2004. «Auparavant, on était dans la mémoire, avec tout ce qu’elle a d’affectif, analyse Robert Belot. Jusque dans les années 90, “débarquement” se disait quand même “invasion” en allemand. Ce n’est qu’ensuite que l’on est entré dans l’histoire; on commémore alors pour penser l’avenir.» Et l’avenir, c’est l’Europe. L’Allemagne assume son passé, comme l’a montré Gerhard Schröder en 2004 en «reconnaissant» la «responsabilité historique» de son pays, et il s’agit à partir de là de consolider l’Europe sur son socle franco-allemand.

Vu de Russie. Le pays de Vladimir Poutine est encore dans une autre configuration. Occupée sur le front Est, la Russie n’a pas participé au Débarquement en Normandie. Si le président russe sera bien présent vendredi aux côtés de ses homologues occidentaux, c’est pour «rappeler que ses compatriotes ont aussi payé le prix fort pour vaincre le nazisme», selon Robert Belot. Durant la Guerre froide, cet écot russe avait été complètement occulté. Vladimir Poutine a par ailleurs fait ces derniers mois de la lutte contre le nazisme un véritable cheval de bataille.