Plan de lutte contre la radicalisation: «Il faut cesser de considérer le djihad en Syrie comme un problème criminel»
INTERVIEW Wasim Nasr, journaliste spécialiste des mouvements djihadistes, répond aux questions de «20 Minutes»…
Bernard Cazeneuve veut aller vite. Le ministre de l’Intérieur a présenté ce mercredi en conseil des ministres le plan de lutte du gouvernement contre les filières djihadistes. En quatre paragraphes, il entend apporter une «réaction déterminée, ferme et efficace» tout en proposant «des actions préventives».
Parmi les mesures annoncées, la création d’un numéro vert et d’une plateforme de signalement sur Internet, le renforcement des services de renseignement et des outils de lutte contre le cyberterrorisme ou encore l’opposition «à la sortie du territoire de personnes majeures engagées dans des activités terroristes». Wassim Nasr, journaliste spécialiste des mouvements djihadistes, diplômé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), trouve le plan du gouvernement «timide»…
Une dizaine de mesures ont été proposées. Globalement, qu’en pensez-vous?
Ces mesures auraient été bien plus efficaces si elles avaient été mises en place il y a dix ans. Je ne vois pas comment ça va améliorer les choses. Ou tout du moins autrement qu’à la marge. La plateforme de signalement pour les parents est un leurre. Par exemple, si l’on compare avec le temps où les lois étaient incriminantes pour les usages de drogue, très peu de parents ont dénoncé via ce type d’outil leurs enfants. C’était perçu comme de la délation. Alors pour du terrorisme, je n’y crois pas vraiment…
Selon vous, comment le gouvernement devrait aborder cette question?
Il faut arrêter de traiter ce phénomène comme un problème criminel. Ce n’est pas en construisant des terrains de basket et en y mettant des éducateurs qu’on avancera. Par ailleurs, il faudrait arrêter avec cette vue de l’esprit qui est de penser que les jeunes qui partent en Syrie faire le djihad sont des paumés, des pauvres ou des malades. Il y en a, certes. Mais la plupart sont des jeunes convaincus avec un statut social. Ceux qui vont se battre sont «sincères» dans leur démarche. Et tous ne sont pas des planificateurs d’attentats sur le sol français.
Si ce n’est pas un problème de délinquance, qu’est-ce que c’est?
C’est avant tout politique. On a laissé partir pendant deux ans des jeunes en leur faisant comprendre que combattre Bachar était acceptable. La position paradoxale de la France n’est pas tenable devant les tribunaux. Par ailleurs, les mêmes experts spécialistes du Mali ou de la Tchétchénie parlent aujourd’hui sur la Syrie. Or c’est un problème à part entière, bien spécifique. A titre de parallèle, les anarchistes ou les communistes ont été assimilés à des terroristes. Mais tant qu’on n’avait pas compris l’idéologie qu’il y avait derrière, on n’a pas pu trouver des solutions ou les réponses adéquates. Le djihad en Syrie, c’est un problème de fond et d’ampleur. Pas des jeunes paumés en déshérence ou abandonnés.
Quel regard portez-vous sur les initiatives lancées à l’étranger?
A Londres, par exemple, des associations de musulmans ont demandé des financements sous prétexte qu’elles avaient des éléments radicaux au sein de leurs communautés et qu’elles devaient être soutenues pour les déradicaliser. Du coup, des associations chrétiennes se sont insurgées car elles, n’avaient pas de terroristes «à dénoncer» pour collecter des fonds. Ça a été un échec, comme d’ailleurs les programmes de réhabilitation en Arabie Saoudite.
Le gouvernement propose d’améliorer les outils pour lutter contre le cyberterrorisme. Au moins en termes de détection, c’est une avancée…
Il ne faut pas trop espérer. Le phénomène est tellement répandu qu’on ne peut pas le contrôler. Par ailleurs, le facteur et le renseignement humains sont toujours primordiaux. Il faudrait mettre plus d’agents… Mais ça, c’est un autre débat: faut-il miser sur le renseignement humain ou s’appuyer sur les innovations techniques?