Arrestation de Joaquin Guzmán: «Le trafic de drogue va continuer»

INTERVIEW Le point avec Victor Clark Alfaro, spécialiste mexicain des cartels et du trafic d'êtres humains...

Propos recueillis par Philippe Berry, à Tijuana
— 
Arrestation du trafiquant de drogue mexicain Joaquin "Chapo" Guzman, le 22 février 2014 à Mexico
Arrestation du trafiquant de drogue mexicain Joaquin "Chapo" Guzman, le 22 février 2014 à Mexico — Ronaldo Schemidt AFP

«El Chapo» («le Petit») est sans doute le narcotrafiquant le plus puissant depuis Pablo Escobar. Arrêté samedi au Mexique après s'être fait la malle (ou avoir acheté sa libération, selon les versions), en 2001, Joaquin Guzmán devrait être à nouveau jugé dans son pays. A moins que le leader du cartel de Sinaloa ne soit extradé vers les Etats-Unis, où la ville de Chicago l'a déclaré «ennemi numéro 1», une première depuis l'époque d'Al Capone. Directeur du Centre binational pour les droits de l'homme de la ville frontière de Tijuana, Victor Clark Alfaro n'est pas optimiste, alors que le business de la drogue mexicaine aux Etats-Unis atteindrait entre 19 et 29 milliards de dollars par an, selon les autorités américaines.

Qui va reprendre la main à la tête du cartel de Sinaloa? Y aura-t-il une guerre de succession sanglante?

La violence fait partie de l'ADN de ces organisations, c'est toujours une possibilité. Le successeur logique est Ismael Zambada, «el Mayo», qui gérait déjà la logistique. Il a plus de 60 ans, il appartient à l'ancienne école, avec Juan José «el Azul» Esparragoza. La structure était déjà très horizontale, elle est solide. Le trafic de drogue vers les Etats-Unis va continuer, par la mer, les airs, la terre. Et même dessous, avec des tunnels.

Guzmán sera-t-il extradé vers les Etats-Unis?

C'est difficile à dire. Il n'a pas purgé l'intégralité de sa peine de 20 ans de prison. La logique voudrait qu'il soit emprisonné au Mexique mais il s'est déjà échappé. Etre incarcéré aux Etats-Unis offrirait davantage de garanties et le couperait de son réseau. La décision sera politique.

Depuis un an, plusieurs leaders des cartels ont été arrêtés. Le nouveau président mexicain, Enrique Peña Nieto, change-t-il de stratégie?

Il est trop tôt pour parler d'un changement de politique. Au Mexique, les présidents fraîchement élus font tous la même chose: ils multiplient les coups de filet au début de leur mandat. Cela leur donne une image positive d'homme fort, notamment à l'étranger. L'arrestation de Guzmán est importante, mais il n'était que le PDG d'une multinationale du trafic de drogue. Son entreprise lui survivra.

Que doit faire Nieto pour changer la donne?

Il doit s'attaquer aux racines tentaculaires du système. Arrêter les leaders des cartels mais aussi les hommes politiques, les banquiers, les policiers et les militaires corrompus qui ferment les yeux ou protègent le trafic de drogue. Mais c'est compliqué quand la demande n'a jamais été aussi forte, notamment aux Etats-Unis.

Le nombre de morts liés à la guerre de la drogue semble diminuer depuis 2008, notamment à Tijuana et Ciudad Juárez. Pourquoi?

A Tijuana, on est passé de 850 meurtres en 2008 à 532 en 2013. On avait atteint des niveaux records avec une surenchère dans les règlements de comptes et les exécutions. Avec l'affaiblissement du cartel Arellano Felix et la montée en puissance de Sinaloa, il y a eu des accords pour mieux se partager le trafic. Certains, comme les Templiers, paient un impôt aux autres pour opérer en Baja California et acheminer du meth aux Etats-Unis. Globalement, on assiste à l'arrivée d'une nouvelle génération, plus pragmatique. Il y a moins de décapitations et davantage de meurtres par balles. Trop de violence, notamment contre la population, n'est pas bonne pour le business.