Thaïlande: une bouddhiste retranchée dans un village musulman
Protégée par des soldats thaïlandais ayant fait de sa maison un camp retranché, une bouddhiste de 81 ans refuse obstinément de quitter sa maison située dans un village musulman du sud insurrectionnel de la Thaïlande.
Depuis le début en 2004 de la rébellion séparatiste dans cette région majoritairement musulmane, Jiaw Pongthawil a vu partir tous ses voisins bouddhistes du village de Baan Ga Doh.
Au point qu'elle est désormais la seule bouddhiste au milieu des 1.200 habitants musulmans de ce village situé en «zone rouge», celle où les rebelles musulmans sont les plus actifs, dans la province de Narathiwat.
«J'ai peur. J'ai subi de nombreuses attaques... Mais je n'ai nulle part où aller. Ceci est ma propriété, ceci est ma terre», dit la vieille dame d'une voix mal assurée.
Les rebelles, assemblage de groupes disparates aux revendications parfois difficiles à saisir, contestent l’autorité de Bangkok sur cette région rattachée jusqu'au début de XXe siècle à la Malaisie voisine.
La moitié des 400.000 bouddhistes qui habitaient cette région aurait fui la région depuis près de dix ans que s'éternise le conflit, avec son lot d'attaques quotidiennes contre les représentants de l'Etat, qu'ils soient instituteurs ou soldats, et un bilan de plus de 5.700 morts.
Car l'enjeu du conflit est aussi démographique, à mesure que s'amenuise la part de bouddhistes parmi les 1,8 million d'habitants de la région, très majoritairement musulmans. Ils comptent sur Bangkok pour assurer leur sécurité.
Entourée de sacs de sable, la maison de Jiaw a été attaquée trois fois ces dernières années, en dépit du déploiement d'un groupe de soldats thaïlandais qui logent en permanence chez elle. Lors de la dernière attaque, en juillet, la grenade artisanale lancée depuis une route adjacente n'a pas explosé, après avoir rebondi sur un filet de sécurité de 10 mètres de haut.
Cette mère de six enfants a perdu son mari en 2007, restant seule dans cette maison remplie de bibelots poussiéreux et de portraits du roi de Thaïlande.
Une vie retranchée
Une vie retranchée
Depuis que sa maison a été transformée en camp retranché, ses amis musulmans ne viennent plus lui rendre visite. «Nous vivions ensemble avant... Nous nous aidions les uns les autres. Mais maintenant, ils veulent que nous partions tous», constate-t-elle avec amertume.
L'administration locale dément quant à elle tout exode de la population bouddhiste. Mais le dernier recensement montre que 288.000 bouddhistes vivaient ici en 2010, soit 20% de moins qu'en 2000. Et la tendance se serait encore aggravée depuis.
Ces départs sont une victoire pour les insurgés, alors que les bouddhistes de la région craignent quant à eux de se voir sacrifiés sur l'autel des négociations avec les rebelles, qui doivent reprendre sous peu, d'autant que l'exode a réduit leur poids démographique.
La possibilité d'une réconciliation entre bouddhistes et musulmans semble bien loin aujourd'hui, avec des violences commises chaque jour par les rebelles et par les forces de l'ordre. L'armée thaïlandaise est omniprésente dans la région: check-points, soldats en faction devant les temples bouddhistes, patrouilles dans les villages musulmans à la recherche de rebelles.
Les forces de l'ordre reçoivent l'ordre de protéger les habitants - bouddhistes comme musulmans - menacés par les rebelles pour leur supposée collusion avec l'Etat: des soldats escortent des moines comme des enseignants se rendant à l'école.
Sans aller jusqu'à rejoindre les rangs de la rébellion, les musulmans de la région sont nombreux à dénoncer les abus des forces de l'ordre thaïlandaises et la politique de discrimination envers les musulmans comme autant de générateurs de ressentiment. Même si l'administration locale a intégré plus de musulmans ces derniers temps, ceux-ci sont toujours appelés «khek», le mot en thaï pour «invité».
A Baan Ga Doh, le chef de l'administration locale, Uzman Ahmad, musulman, se souvient de la vieille Jiaw depuis son enfance, quand le village était en paix.
«Je voulais vraiment que les bouddhistes restent. Nous étions frères», dit-il, son pistolet à portée de main. «Peut-être pourrons nous vivre ensemble à nouveau un jour. Mais aujourd'hui, c'est trop dangereux pour eux».