Les services secrets russes accusés d’empoisonnement
Digne d’un roman. L’empoisonnement à Londres il y a trois semaines d'Alexandre Litvinenko, ex-espion russe, de 41 ans, prend des allures de polar.
Lundi soir, la police britannique a annoncé que l'enquête sur l'ancien colonel du FSB (services secrets russes, ex-KGB) était désormais confiée à la direction antiterroriste de Scotland Yard SO15. C'est que tous les regards se tournent vers Moscou.
Dans un entretien au Times paru lundi, Oleg Gordievski, chef espion en Grande-Bretagne dans les années 1980 pour le compte du KGB, l’ancêtre du FSB, et transfuge le plus gradé des services soviétiques en Occident, a accusé les services secrets russes d'être à l'origine de cette tentative d'assassinat.
«Bien sûr qu’il s’agit d’un ordre d’Etat. (Litvinenko) était un ennemi tellement évident. Seul le KGB est capable de faire cela. Le poison était très sophistiqué. Ils l’ont déjà fait auparavant – ils ont empoisonné Anna Politkovskaya (la journaliste russe assassinée le 7 octobre) dans un avion l’année dernière, » a-t-il indiqué. Il a ajouté qu'il ignorait l'identité de l'assassin d'Alexandre Litvinenko mais qu'il soupçonnait un ami russe et un de ses anciens collègues.
La marque du FSB
Un autre proche d'Alexandre Litvinenko, Alexandre Goldfarb, a également affirmé que l’empoisonnement était « lié à Moscou et au FSB ». «Je n'ai pas de preuves, mais il y a un trait constant autour de crimes politiques en Russie et à l'étranger», a-t-il ajouté. «(Litvinenko) avait reçu des menaces contre sa vie », a-t-il souligné. «C'est d'abord pour cela qu'il a reçu l'asile politique (en 2001) en Grande-Bretagne. Il a parlé depuis longtemps (du FSB) et publié deux livres accusant les services secrets russes d'activités criminelles, et il a été un critique très virulent du président Poutine».
Les services secrets russes démentaient lundi toute implication. «Nous n'avons rien à voir avec ce qui est arrivé à Litvinenko. Les services secrets russes ne pratiquent plus depuis longtemps l'empoisonnement ou toute forme d'assassinat», a déclaré à l'AFP le porte-parole du renseignement extérieur (SVR), en charge de l'espionnage à l'étranger, Sergueï Ivanov. Egalement interrogé, le FSB, dont faisait partie Litvinenko, n'a pas souhaité commenter l'affaire.
Sushi ou thé empoisonné ?
Alexandre Litvinenko, 43 ans, ex-lieutenant-colonel du FSB, enquêtait sur le meurtre récent de la journaliste russe d'opposition Anna Politkovskaïa. C'était l'objet de sa rencontre le 1er novembre avec "Mario", un "contact" italien. Il s'agirait, selon le quotidien en ligne russe Gazeta.ru, de l'homme d'affaires italien Mario Scaramella.
«Mario a dit qu'il voulait s'asseoir», a dit Litvinenko au Sunday Times. Les deux hommes se sont alors rendus dans un restaurant japonais de Piccadilly Circus où seul l'ex-espion aurait déjeuné. «Il avait l'air très nerveux. Il m'a donné une liste de noms de gens, dont des agents du FSB, prétendument liés au meurtre», a-t-il poursuivi, ajoutant qu'il s'était senti mal dans les heures qui ont suivi. Selon Gazeta.ru, Scaramella fréquentait la Loubianka (siège du FSB à Moscou) et se serait rendu plusieurs fois dans le bureau du directeur adjoint du FSB Viktor Kolmogorov, chargé de suivre les dossiers des anciens du FSB.
Pour Oleg Gordievski, Litvinenko a cependant «été empoisonné avant de rencontrer l'Italien», lors d'un rendez-vous dans un hôtel avec un Russe se faisant passer pour un homme d'affaires et un ami et qui aurait versé le poison dans son thé.
La police britannique, chargée de l’enquête, a pour sa part précisé qu’aucune arrestation n’avait eu lieu.
«Légère dégradation» de son état de santé
Alexandre Litvinenko est actuellement hospitalisé à l'hôpital londonien University College Hospital. Il a été transféré lundi en unité de soins intensifs. Son porte-parole Alexandre Goldfarba a évoqué une "légère dégradation" de son état de santé.
"Il était plus fatigué et épuisé" aujourd'hui, a déclaré à l'AFP, après lui avoir rendu visite, soulignant que son coeur ou ses reins pouvaient lâcher.
Selon le Sunday Times citant un rapport médical, il aurait été empoisonné au thallium, l'un des composants de la mort-aux-rats, recevant trois fois la dose potentiellement mortelle. Au vu de ses symptômes, les médecins évoqueraient un cocktail de plusieurs substances. Ses reins ont été endommagés, il vomit sans arrêt, souffre d'une perte quasi-totale de globules blancs et n'a pas mangé depuis 18 jours, écrit le journal. Il aurait perdu ses cheveux et parlerait avec difficulté. Placé sous protection armée, il serait dans l'attente d'une greffe de moelle osseuse. Il aurait une chance sur deux de survivre.
Sandrine Cochard (avec AFP)