Syrie: «Je ne vois pas de raison de penser que l’opinion française puisse être majoritairement opposée à une intervention française»

INTERVIEW Bruno Tertrais de la Fondation pour la recherche stratégique répond aux questions de «20 Minutes»...

Propos recueillis par Mathieu Bruckmüller
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Des Syriens évacuent un blessé après un raid aérien sur la ville d'Alep, le 26 août 2013.
Des Syriens évacuent un blessé après un raid aérien sur la ville d'Alep, le 26 août 2013. — ABO AL-NUR SADK / AFP

L’opinion française va-t-elle accepter une nouvelle intervention militaire à l’étranger après celle du Mali en janvier?  Si un sondage Ifop pour le site Atlantico mené en juillet révélait que 60% des sondés n’y étaient pas favorables, l’attaque chimique de la semaine à Damas perpétré selon Paris par le régime en place, risque de changer la donne. C'est ce que pense Bruno Tertrais de la Fondation pour la recherche stratégique.

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L’opinion publique est-elle prête à une intervention en Syrie?

Dans les vingt dernières années, l’opinion française a plutôt fait confiance à ses dirigeants s’agissant des décisions d’interventions militaires (Irak, Kosovo, Balkans, Yougoslavie, Afghanistan, Mali…) La seule exception récente a été la poursuite de l’intervention en Afghanistan qui est devenu impopulaire au bout de quelques années. Il est évident que nous ne sommes pas dans cette configuration en Syrie. Je ne vois pas de raison de penser que l’opinion française puisse être majoritairement opposée à une intervention française en Syrie.

Une intervention même sans l’aval de l’Onu serait-elle soutenue?

L’intervention au Kosovo en 1999 s’était faite sans résolution explicite du conseil de sécurité. Je n’ai pas le souvenir que la population française y ait été majoritairement opposée. On peut supposer qu’une intervention ponctuelle a davantage de chance d’être soutenue qu’une intervention plus lourde qui aurait pour but le renversement du régime.

Le contexte de crise, est-il un frein à une adhésion des Français?

Non, car depuis la crise financière de 2008, nous avons eu deux interventions lourdes pilotées par la France en Libye et au Mali. En dehors de quelques interrogations sur le coût de ses opérations, elles n'ont pas été impopulaires pour autant. Autrement dit, la crise financière et la situation budgétaire française conduit légitimement à s’interroger sur le coût de ses interventions, mais celles-ci n’en ont pas moins été approuvées dans les deux cas par une majorité de Français.

La supposée attaque chimique responsable de plusieurs centaines de morts est-elle le point de bascule dans ce conflit?

Oui. Il y a toujours des effets de seuil sur le plan médiatique. L’intervention ne serait pas justifiée par les quelque 100.000 morts depuis le début du conflit, mais par un massacre à grande échelle à l’arme chimique. A l’image du bombardement du marché de Sarajevo qui avait poussé les Occidentaux à intervenir en ex-Yougoslavie en 1995.

Quels sont les moyens d’intervention de la France?

J’imagine que la contribution française serait essentiellement comme pour les autres pays occidentaux, des missiles de croisière. La France en a de longue portée qui ne nécessitent pas la pénétration en profondeur de l’aviation. Ces missiles sont tirés depuis les airs ou la mer.

La France va-t-elle installer une présence de ses forces dans les pays frontaliers de la Syrie?

Je ne serai pas surpris qu’il n’y ait pas déjà une présence française ne serait ce qu’en termes de renseignement et de conseils dans certains pays limitrophes notamment en Turquie pour soutenir l’opposition de façon discrète. La France pourrait donc la renforcer.

Quelles peuvent être les risques d’une intervention française en Syrie?

Nous ne sommes plus dans les années 80 lorsque la Syrie avait fait assassiner l’ambassadeur de France au Liban. Les intérêts français dans la région sont mieux protégés. Et la Syrie n’a peut-être plus les mêmes moyens d’action directe qu’auparavant. Mais il serait surprenant qu’il n’y ait pas de tentatives de représailles contre des intérêts français dans la région. Les responsables politiques sont conscients de ses risques.