«Les gouvernements africains utilisent la question homosexuelle pour masquer les failles d’un système qui ne fonctionne pas bien»

INTERVIEW Pour le sociologue camerounais Charles Gueboguo l’homophobie est une façon pour les élites politiques de détourner l'attention des véritables problèmes que rencontrent les sociétés africaines...

Propos recueillis par Bérénice Dubuc
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Le drapeau arc-en-ciel, symbole de la communauté homosexuelle.
Le drapeau arc-en-ciel, symbole de la communauté homosexuelle. — WOJTEK RADWANSKI / AFP

Une loi qui criminalise l'homosexualité a été promulguée lundi en Ouganda. Ce mardi, un un tabloïd local a publié un «top 200» des gays du pays. 

Pour le sociologue camerounais Charles Gueboguo, auteur de Sida et homosexualité(s) en Afrique. Analyses des communications de prévention (éd. L’Harmattan, 2009), ces relents d’homophobie sont avant tout une façon pour le politique de détourner l’attention des véritables problèmes que rencontrent les sociétés africaines.

Ce type de procès semble de plus en plus nombreux en Afrique. Cela signifie-t-il que le continent connaît un regain d’homophobie?

L’homophobie n’est pas seulement le fait de l’Afrique, mais existe aussi en Occident, comme le montrent les nombreuses agressions qui ont eu lieu en France ou aux Etats-Unis ces derniers temps. Mais, ce qu’il est intéressant de voir c’est que, par rapport à tous les problèmes que rencontre l’Afrique -pauvreté, chômage, urgences sanitaires et alimentaires-, la question homosexuelle est secondaire, et pourtant elle semble être partout, très importante.


Pour quelle raison selon vous?

Pour moi, il s’agit d’une manipulation politique. Les gouvernements africains, qui sont pour la plupart illégitimes, utilisent la question homosexuelle pour masquer les failles d’un système qui ne fonctionne pas bien. Les politiciens parlent de l’homosexualité et des soi-disant problèmes que cela implique à tort et à travers pour empêcher les Africains de se poser les bonnes questions.

Et l’homme de la rue adhère?

Ils disent que l’homosexualité n’est pas africaine, que cela ne fait pas partie des valeurs africaines, etc. Mais ils font de l’amnésie culturelle. Il est faux de dire que l’homosexualité a été importée par l’Occident, ce sont des pratiques qui ont toujours existé, au cours de rites de passage, par exemple, ou de guérison, dans de nombreux pays africains. En tant qu’humain, nous avons tous des préférences, des attirances sexuelles. L’homosexualité est de toutes les cultures et de toutes les nations. Ne pas accepter que l’Afrique a connu des pratiques homosexuelles avant l’arrivée des colons, c’est faire fi de l’humanité des Africains. Ce n’est pas l’homosexualité mais l’homophobie qui a été importée de l’Occident.

Comment cela?

Aujourd’hui, l’homosexualité est condamnée dans de nombreux pays africains, en Zambie, au Cameroun, au Sénégal,... Or, ces lois pénalisant ces pratiques sont inspirées des anciens états coloniaux. A l’époque de la colonisation, une vision disons «victorienne» de la société -de la place de la femme, du fonctionnement d’un ménage, des pratiques sexuelles…- prévalait. Lorsque les colons sont arrivés sur le continent africain, qui était à l’état de nature sauvage, ils y ont «remis de l’ordre» en fonction de ce mode de pensée. Et les mêmes personnes qui rejettent aujourd’hui avec force les anciens colonisateurs se conforment à leur mode de pensée.

Comment expliquer la «différence» sud-africaine?

L’Afrique du Sud est le premier pays au monde à avoir inscrit dans sa Constitution le mariage de personnes de même sexe. Après l’Apartheid, et lorsque Mandela est arrivé au pouvoir, l’objectif était de reconstruire la nation, une nation arc-en-ciel. Cela signifiait qu’il fallait intégrer toutes les personnes qui faisaient partie de l’historicité du pays. Dans cette logique de réconciliation, les politiques ont dû intégrer tout le monde, tous les marginaux. Il ne leur était dès lors pas possible d’ignorer la question de la sexualité et de l’homosexualité, car les homosexuels faisaient aussi partie de cette nation, avaient également subi l’Apartheid. Dans le reste de l’Afrique, c’est une question qu’on ne veut pas se poser.