Conclave: «L'élection du pape se fait à huis clos pour éviter toute emprise des pouvoirs de ce monde»
INTERVIEW Alors que le conclave s'ouvre mardi au Vatican, «20 Minutes» a demandé ses lumières à Philippe Blaudeau, professeur d'histoire romaine à l'Université d'Angers...
Pouvez-vous nous rappeler ce que représente le conclave? Qui en sont les acteurs?
Le conclave désigne la réunion, à l'abri des regards et des pressions extérieures, des cardinaux pour assurer l'élection d'un nouveau pape. Ce sont les papes Nicolas II et Alexandre III par les bulles pontificales de 1059 et 1179 respectivement, qui ont réservé aux cardinaux le monopole de cette désignation. Les cardinaux sont les plus hauts dignitaires de l'Eglise après le pape et sont nommés par le souverain pontife seul. Ils sont répartis en trois classes (évêques, prêtres et diacres). Seuls les cardinaux âgés de moins de 80 ans sont habilités à voter.
Pourquoi le pape est-il si important pour les catholiques?
Pour les catholiques, le pape se voit confier une responsabilité sans équivalent dans l’Eglise: il n'est pas seulement l'évêque de Rome ou le primat d'Italie. Son ministère est universel: il est le successeur de saint Pierre, mort en martyr à Rome à la fin du règne de Néron: c'est donc au pape que reviennent en plénitude les attributs et les droits objectifs confiés à Pierre par le Christ lui-même, selon la promesse énoncée dans l'évangile de saint-Matthieu. Sa fonction est d'assurer l'unité du Peuple chrétien et de veiller à ce que la foi chrétienne soit prêchée et accueillie dans le monde entier conformément aux Ecritures et à la tradition.
Pourquoi cette élection est-elle secrète? Pourquoi la société est-elle mise à l'écart dans ce moment particulier?
L'objectif est d'éviter toute emprise des pouvoirs de ce monde, politiques en premier lieu, sur une décision qui pour l'Eglise catholique, doit signifier un libre choix éclairé par la prière et la communion de foi des décisionnaires.
Peut-on dire que le conclave est une élection démocratique?
En un sens, et dans les limites de l’assemblée décisionnaire (soit pour 2013, 115 hommes âgés de moins de 80 ans) la procédure est particulièrement démocratique puisque la majorité requise est des deux-tiers. Mais dans l’ordre de la pensée catholique, le processus électif a pour but de dégager un consensus qui manifeste l’action effective d’une force venue d’En Haut et identifiée à l’Esprit Saint. Dans cette mesure, l’élection, sans candidat déclaré ni campagne, est censée échapper aux limites des principes démocratiques (pressions, affirmation intimidante d’une majorité au détriment d’une minorité…) sans en méconnaître les mérites (décision personnelle, expression collégiale…)
Pourquoi la durée du conclave est aléatoire?
C’est le résultat qui détermine la durée. Tant que la majorité des deux tiers n’est pas atteinte, les scrutins se succèdent à raison de quatre par jour, à compter du 2e jour, avec une pause en forme de journée de prière si trois jours se sont succédé sans qu’intervienne une élection.
Avant le XXe siècle le conclave a pu durer, dans des circonstances exceptionnelles, de quatre à six mois. Pourquoi?
Confier l’élection aux seuls cardinaux ne résolvait pas tout! Leurs intérêts divergents, leurs désaccords pouvaient engager à une mésentente durable. Le premier enfermement (conclave vient du latin cum clave – sous clef) a lieu lors de la succession d’Innocent III en 1216, mais l’expression est normalement appliquée à partir de la désignation de Grégoire X (1271) après plusieurs mois d’attente et l’exaspération générale. La menace du régime au pain et à l’eau avait également contribué à débloquer la situation! Malgré certaines vicissitudes et des excès encore (deux ans pour trouver un successeur à Clément V, 1314-1316), le principe d’un lieu fermé et d’une relative contrainte des conditions de résidence a prévalu
Fumée noire, fumée blanche... Pourrait-on imaginer un processus plus moderne pour annoncer l'élection d'un pape?
La fumée annonce certes le résultat à la ville et au monde, mais elle est aussi la conséquence de la disparition des bulletins après le dépouillement. En un sens elle rappelle également la garantie donnée au secret du vote. Surtout ce procédé, à l’imperfection à peine améliorée (pour rendre, si besoin, la fumée noire), ne manque pas de charme: il oblige notre monde hyper-technicisé à dépendre, pour quelques minutes, de l’interprétation donnée à la teinte d’une subtile colonne d’air qui s’élève lentement vers le ciel. Pour ma part, je préconiserai plutôt d’en conserver la douce ironie.