Patrick Drahi va racheter BFMTV et RMC: «Les médias, c’est les paillettes»

INTERVIEW – L’économiste des médias Patrick Eveno revient pour «20 Minutes» sur l’annonce du rachat de NextRadio TV (BFMTV et RMC) par l'homme d'affaires Patrick Drahi…

Annabelle Laurent
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Patrick Drahi, troisième fortune de France selon Forbes Magazine
Patrick Drahi, troisième fortune de France selon Forbes Magazine — Thibault Camus/AP/SIPA

En juin 2014, Patrick Drahi rachetait Libération. En février 2015, L’Express, et une douzaine d’autres magazines. Il envisagerait également le rachat de Stratégies.

Et voilà que le patron d’Altice (SFR, Numericable) s’allie à son ami Alain Weill pour lancer prochainement une OPA d’un montant de 595 millions d’euros environ sur l’ensemble des titres du groupe NextRadioTV (BFM TV et RMC).

A quoi aspire la troisième fortune de France, en constituant cet empire médiatique? 20 Minutes a joint l’économiste des médias Patrick Eveno.

A lire : Qui est Patrick Drahi, le magnat des médias ?

La nouvelle du rachat de BFMTV et RMC s’inscrit dans la lignée des annonces des derniers mois, mais cela reste une surprise. Vous a-t-elle étonné? 

Patrick Drahi est entré dans Libération pour avoir de la notoriété. Il aime avoir une place importante dans les secteurs qu’il aborde, il ne veut pas se contenter d’avoir 2 ou 3 petits journaux, il veut un vrai groupe de médias. Pour l’instant, la partie radio et télé reste séparée: l’ensemble NextRadioTV sera intégré dans «Altice Content», indépendamment d'«Altice Media Groupe» qui contient les autres médias du groupe. Mais il pourrait y avoir des synergies, par exemple avec la chaîne israélienne d'info en continu i24News. Il y a une volonté évidente de faire des synergies entre les tuyaux (les télécoms) et les contenus. Je pense pourtant que c’est illusoire. Aux Etats-Unis, Time Warner Inc était né en 2000 de la fusion d’AOL et de Time Warner. Jean Marie Messier a aussi essayé les synergies avec Vivendi dans les années 1990 [en transformant la Compagnie générale des eaux en géant mondial de la communication, avec notamment le rachat de Canal+], ça s’est très mal terminé.

Faut-il craindre pour la pluralité des médias ? 

Il est toujours inquiétant de voir des médias qui se regroupent. Dans toutes les industries déclinantes, et la presse en est une, on assiste à une concentration. Mais depuis quelques années les industriels qui rachètent des médias se sont aperçus qu’il ne fallait pas changer la ligne éditoriale. Que ce serait risquer de choquer le public et de tuer les journaux. Il n’y pas de trop de risques là-dessus, même s’il faudra voir à l’usage... Il y aura bien sûr des synergies, mais à court terme celles-ci sont plus faciles à faire du côté administration, comptabilité, commercial, marketing, avec de fortes économies d’échelle et une diminution de la masse salariale. Sur le côté rédactionnel, le risque que des passerelles se forment et que des titres puissent dire la même chose existe plutôt sur le long terme. Dans le même temps, il ne faut pas penser à l’ancien monde figé, tel qu’il l’était dans les années 2000. L’info est en train de se bouleverser. Il y a une multiplicité d’acteurs nouveaux, les réseaux sociaux fournissent beaucoup de moyens de contourner l’info traditionnelle. Pour ce qui est du citoyen et de l’info, on a encore des marges de pluralisme.

Comment expliquer, après celle de Niel, coactionnaire du « Monde » et du « Nouvel Observateur », l’envie de Drahi de constituer un grand pôle médias? Alors que le marché français de la presse est plombé par le recul de la pub? 

Parce que ce n’est pas cher! En ce moment, la presse est bradée. Patrick Drahi a dû payer l’Express autour de 50 millions d’euros. C’est très bon marché. Mais avec les médias, il n’y a jamais que de la stratégie économique, il y a du symbolique. Les médias, c’est les paillettes. Ça reste le miroir aux alouettes. Qui permet de gagner en visibilité et de se faire connaître. Pour ce qui est de Drahi, on ne connaît pas bien ses motivations, il faut lui demander!

Pour lui comme pour Xavier Niel, c’est presque accessoire? 

Pour eux, les médias sont une goutte d’eau dans un empire. Le chiffre d’affaires de Drahi est de 400 ou 500 millions d’euros côté média, mais se chiffre en milliards du côté des télécoms. On retrouve la même disproportion pour Xavier Niel. La capitalisation boursière d’Altice est de 40 milliards d’euros et l’argent qu’il a mis dans tous les médias est autour de 400 millions seulement!

Patrick Drahi rachète à tour de bras mais l’endettement vertigineux de son groupe, Altice, suscite des inquiétudes… 

Son groupe est endetté à hauteur de 35 milliards d’euros, c’est énorme. C’est un vrai pari qu’il fait. Il joue sur le fait que les taux d’intérêt sont bas et qu’il dégage des synergies très importantes en coupant les coûts industriels. Pour l’instant, il s’en sort. Mais il faut voir si Altice arrive à dégager suffisamment de synergies pour devenir rentable.