VIDEO. Marseille: Les opposants aux boues rouges attaquent l'Etat en justice

ENVIRONNEMENT Le tribunal administratif et le conseil d’Etat ont été saisis…

Mathilde Ceilles
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Les "boues rouges", issues des résidus de bauxite, sur le site de MangeGarri, près de Gardanne dans les Bouches-du-Rhône, le 8 octobre 2010
Les "boues rouges", issues des résidus de bauxite, sur le site de MangeGarri, près de Gardanne dans les Bouches-du-Rhône, le 8 octobre 2010 — Anne-Christine Poujoulat AFP
  • Les opposants demandent auprès du Conseil d’Etat à avoir la totalité du procès-verbal de la fameuse réunion entre Manuel Valls et Ségolène Royal
  • Ils engagent également un recours auprès du tribunal administratif pour faire annuler les deux arrêtés
  • Ils auraient le soutien du ministre de la Transition écologique Nicolas Hulot

Nouveau rebondissement judiciaire dans l’affaire des boues rouges. Ce mercredi, lors d’une conférence de presse, les riverains et opposants ont annoncé par la voix de leur avocate maître Hélène Bras qu’ils avaient engagé deux nouvelles procédures contre l’Etat, l’une devant le Conseil d’Etat, l’autre devant le tribunal administratif de Marseille.

C’est quoi le dossier dit des boues rouges ?

Pour rappel, l’usine d’alumine Alteo de Gardanne (Bouches-du-Rhône), qui emploie 400 salariés, a rejeté pendant des décennies des « boues rouges » dans la Méditerranée. Elle a dû modifier ses procédés, séparant et filtrant davantage ses effluents liquides, et a obtenu fin décembre 2015 une autorisation par arrêté préfectoral de poursuivre ses activités, avec un délai pour se conformer totalement aux normes.

L’usine garde désormais à terre les boues solides et ne rejette plus qu’un liquide filtré, qui a abouti, selon Alteo, à une réduction du flux de métaux rejeté de plus de 99 %. Écologistes et riverains continuent toutefois de s’inquiéter de la pollution.

Pourquoi saisir le Conseil d’Etat ?

La semaine dernière, Me Hélène Bras, avocate des opposants et riverains, a décidé de porter l’affaire devant le Conseil d’Etat. Depuis plusieurs mois, ces derniers cherchent en effet à obtenir le procès-verbal de la fameuse réunion interministérielle du 13 novembre 2015, durant laquelle le torchon a brûlé entre Manuel Valls, alors Premier ministre, et Ségolène Royal, alors ministre de l’Environnement. Après de multiples démarches auprès du Premier ministre pour connaître la teneur de cette réunion, en vain, l’avocate a saisi lacommission d’accès aux documents administratifs qui lui a donné raison. Puis, le tribunal administratif de Paris a rendu un jugement en leur faveur le 6 janvier dernier.


Trois des cinq pages de ce procès-verbal ont été finalement récemment communiquées aux opposants par le Premier ministre Bernard Cazeneuve. Dans ces pages, on apprend notamment que la ministre de l’Environnement aurait « fait valoir un avis très négatif » concernant l’autorisation accordée à l’usine d’alumine Alteo de Gardanne (Bouches-du-Rhône) de poursuivre ses rejets polluants en Méditerranée. Avis qui serait contraire à celui du Premier ministre de l’époque. Dans une émission de France 3 diffusée en septembre dernier, Ségolène Royal avait expliqué ne pas avoir pu s’opposer à Manuel Valls dans ce dossier.

Les opposants ont frappé à la porte du Conseil d’Etat pour obtenir la totalité du procès-verbal, afin tout d’abord de connaître les arguments précis qui ont conduit à cette autorisation. Mais il y a un autre objectif : montrer qu’en la matière, la décision était « entachée d’une incompétence négative » selon les termes de Me Bras, le Premier ministre n’ayant « aucun pouvoir hiérarchique sur ses ministres » et Ségolène Royal ayant une entière « compétence » sur la question selon les textes. Si le Premier ministre avait bien outrepassé ses prérogatives, « l’Etat de droit était flageolant ».

En quoi consiste le recours devant le tribunal administratif de Marseille ?

Dans le même temps, le tribunal administratif de Marseille a été saisi au nom de riverains pour faire annuler l’arrêté préfectoral du 21 juin 2016, ainsi que le précédent arrêté du 28 décembre 2015. Cet arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône porte sur le stockage des déchets d’Alteo de résidus minéraux. Selon Me Hélène Bras et Olivier Dubuquoy, président de l’association Nation Océan, les riverains font face aujourd’hui à un problème. Certes, les résidus liquides sont désormais filtrés. Mais restent à gérer les déchets solides et leur stockage sur terre. En effet, ces poussières sont composées de résidus minéraux dangereux comme l’arsenic, qui peuvent par la suite infiltrer par exemple les nappes phréatiques ou les eaux utilisées par les riverains pour arroser les jardins. « C’est un volume considérable, et tout ça n’a même pas été pensé. L’arrêté du 21 juin est un arrêté pris en catastrophe et catastrophique. On ne transporte même pas la poussière sous le tapis, mais sur le tapis »


Parmi les mesures exigées par le préfet dans cet arrêté se trouve la volonté de recouvrir de végétaux l’ensemble des zones de stockage, mais seulement en fin d’exploitation. Des recommandations insuffisantes pour Olivier Dubuquoy, qui affirment que les cuves de stockage ne sont pas aujourd’hui imperméables. « Certains riverains se sont vus interdire la consommation des eaux de forage », déplore-t-il.

Quelles sont les revendications des riverains ?

Les riverains, à travers la voix d’Olivier Dubuquoy, demandent « la mise en sécurité du site dans les plus brefs délais ». Ils aimeraient également qu’un travail de sensibilisation soit fait, que ce soit via des panneaux avertissant du danger dans une zone où se côtoient parfois randonneurs et joggeurs, ou à travers la circulation d’informations liées aux eaux de forage et à la consommation de champignons cueillis à proximité. Ils souhaitent également l’application du principe pollueur-payeur, par la remise en Etat du site aux frais d’Alteo. Ils demandent enfin le financement par l’entreprise d’une étude épidémiologique participative pour mesurer les conséquences de cette activité sur la santé des riverains. « On demande qu’il n’y ait plus d’impact sanitaire. » « La santé publique doit primer sur les facteurs purement financiers », abonde Me Bras.

Qu’en pense Nicolas Hulot ?

Au cours d’une interview accordée la semaine dernière à BFMTV, Nicolas Hulot a souligné « la légitimité de l’indignation » sur ce dossier. « On a laissé faire pendant des années. Je récupère une forme de laxisme, et maintenant on se retrouve dans une situation où si on prend une décision ferme, on met des centaines de personnes au chômage. Donc on va regarder et évaluer si on peut aller plus loin et plus vite ».


Le ministre de la Transition écologique et solidaire est en effet un soutien de la première heure aux opposants dans le dossier des boues rouges. Peu après sa prise de fonction, Olivier Dubuquoy affirme avoir été contacté par le tout nouveau ministre pour lui faire part de sa volonté de « prendre ce problème à bras-le-corps ».

« Celui qu’on veut interpeller, c’est le président de la République, précise Olivier Dubuquoy. On lui demande son avis, on veut savoir ce que pense Macron. Cela pourrait être une zone exemplaire en termes de transition écologique, en reclassant les emplois via un plan de formation. » « Il faut que quelqu’un se saisisse et règle le dossier », lance Me Bras.