De l’art de tuer ou d’épargner ses victimes

Faits d'armes De plus en plus de joueurs montrent leur compétences sur un jeu en éliminant leurs ennemis de manière spectaculaire ou en n'en tuant aucun...

Thierry Weber
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Abattre son ennemi de manière spectaculaire est vu comme un moyen de mettre en avant sa maîtrise du jeu.
Abattre son ennemi de manière spectaculaire est vu comme un moyen de mettre en avant sa maîtrise du jeu. —

«To kill or not to kill», telle est la question. Dans les jeux vidéo, de plus en plus de gamers semblent adopter cette approche toute shakespearienne. En clair, certains s’amusent à exécuter les ennemis de la manière la plus originale et compliquée possible, là où d’autres relèvent le défi de n’abattre personne. Des tendances qui se développent mais qui n’ont rien de récent.

D’après Patrick Hellio, journaliste spécialisé dans les jeux vidéo et intervenant du podcast «Silence on joue», le «kill» esthétique ou le «no kill», comme on appelle ces façons de jouer, «se sont beaucoup accélérés avec l’apparition du jeu en ligne et la dimension sociale du jeu vidéo depuis une quinzaine d’années».

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Dans les deux cas, l’objectif est de prouver sa supériorité. «Lors de l’apogée de Counter Strike, on a vu apparaître cette notion de vouloir asseoir sa domination par la technique et ridiculiser le joueur d’en face», explique Patrick Hellio au sujet du «kill» artistique. En solitaire, des plateformes comme Twitch ou Youtube permettent de «rediffuser les parties et les partager en ligne» et marquer sa domination sur le jeu en lui-même.



«Créer son jeu dans le jeu»

Guillaume Levieux, maître de conférence au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) et auteur d’une thèse sur la mesure de la difficulté dans les jeux vidéo, parle quant à lui de «méta-objectif». «Ces pratiques permettent de rajouter du contenu au jeu, et les joueurs se l’approprient», surtout dans le cas du «no kill».

La tendance est telle que d’après Patrick Hellio, «les développeurs intègrent ces données aux jeux». Par exemple, «dans Deus ex, mankind divided ainsi que Dishonored, un succès est donné au joueur s’il finit le jeu sans tuer un seul ennemi». Même chose dans le jeu Dishonored 2, où la possibilité est aussi laissée au joueur d’épargner toutes ses cibles potentielles, ou à l’inverse, de s’en débarrasser de façon spectaculaire.

 Best final killcam in IW beta so far- TRIGGER WARNING #IWBeta #FunnyKillcamshttps://t.co/MF3rek9tjf pic.twitter.com/uTzRsqXCK8
— Evan (@MundoNumba5) 17 octobre 2016


«Ce genre de choix est une façon de s’approprier l’expérience. Le joueur peut créer son propre jeu dans le jeu», affirme Dinga Bakaba, lead game designer de Dishonored 2. «On avait déjà amené l’animation de mort ou proposé une manière non létale de jouer dans Dishonored 1. On a vu que cela avait été apprécié, se souvient-il. On a voulu supporter un peu mieux cette élasticité», qui rend le jeu plus difficile. «Tu te sens "badass" quand tu décides de ne tuer personne», évoque le game designer.


Plus proche des joueurs

Dinga Bakaba parle aussi de «l’expression de la moralité». Le joueur peut être amené à «choisir si un personnage mérite de mourir». A cet égard, Patrick Hellio estime que «le jeu ressemble de plus en plus au joueur, et s’adapte à notre personnalité». Non pas que les gamers qui cherchent à tuer avec classe dans le jeu soient des meurtriers dans l’âme, bien sûr. «C’est plus en terme de gameplay. Suivant comment on joue, cela va influencer le scénario». Le concepteur de Dishonored 2 corrobore. «C’est ta propre histoire, et le jeu doit répondre de façon appropriée au choix que tu fais.»

Avec le développement des IA, pratiquer le «kill» artistique ou le «no kill» sera sans doute amené à être plus difficile. Ces tendances, qui, d’après Guillaume Levieux ne sont déjà «pas du tout celles des "casual gamers"», risquent de continuer à concerner une élite. Aux joueurs du dimanche, pas de question existentielle à la Shakespeare. Eux sont plus cartésiens, ils pensent donc ils jouent.

>>>Retrouvez l'intégralité de notre dossier "Les secrets du jeu vidéo", réalisé dans le cadre de la sortie de Dishonored 2, le 11 novembre, sur PC, PS4 et Xbox One.