
Mort numérique : Eternesia, le projet qui veut inscrire nos vies au patrimoine mondial de l'humanité
MORT A l’occasion de l’émission « La mort, si on en parlait ? » organisée par la Maif et le Groupe VYV, 20 Minutes lance une série d’articles sur le thème de la mort numérique.
Graal des transhumanistes, la vie éternelle fait fantasmer l’humanité autant qu’elle la dérange. Mais si par vie, nous entendons les souvenirs que nous laissons à ceux qui restent, il semblerait que l’ère du numérique puisse finalement nous rapprocher d’un semblant d’immortalité. C’est en tout cas la certitude de Dominique Pon, directeur général de la Clinique Pasteur à Toulouse et de son projet Eternesia.
Derrière cette appellation sans trop d’équivoques se cache un véritable dessein humaniste qui permettrait à chacun d’entre nous de laisser une empreinte numérique de notre passage sur terre. Dans le cadre de notre série en lien avec l’émission « La mort, si on en parlait ? » organisée par la Maif, nous vous avons demandé ce que vous en pensez…
Une œuvre d’art
À l’origine d’Eternesia, une conviction : chaque vie humaine est une œuvre d’art singulière. « Alors pourquoi le seul patrimoine mémoriel qui nous reste est-il celui des élites ? », se questionne Dominique Pon. « Dans 50 ans, on se souviendra probablement plus d’Hitler et de Staline que des millions de personnes qui ont disparu dans les camps et les goulags », nous cite pour exemple cet ingénieur de formation.
Et pour Dominique Pon, hier comme aujourd’hui, il n’a jamais existé une quelconque raison qui justifie de trier la valeur d’une vie humaine. Selon lui, chacune de nos vies doit donc, sans en rougir, pouvoir trouver sa place au sein du patrimoine mondial de l’humanité. Pour ce faire, il imagine donc un nouveau droit de l’homme, celui du droit à la mémoire et à la postérité numérique, articulé autour d’un seul projet, Eternesia.
Stocker notre vie
Cette technologie n’est pas et ne doit jamais prendre la forme d’une start-up, estime le directeur général de la Clinique Pasteur. « Ce n’est absolument pas un projet à but lucratif » précise-t-il, fermement. Prenant la forme d’une fondation, « son » Eternesia serait ainsi dirigé par un comité d’éthique et financé exclusivement par le mécénat.
Concrètement, la plateforme nous permettra ainsi de stocker tout au long de notre vie ce qui constituera notre mémoire numérique. Une idée qui a fait écho chez Fanny, l’une de nos internautes. « Je suis assez séduite par ce procédé car peut-être que cela permettra d’atténuer la douleur du deuil », nous explique ainsi la jeune femme. Plus que de soulager la douleur du deuil, pour Dominique Pon il s’agit même de nous réapproprier des rites du deuil, disparus de nos sociétés modernes : « Eternesia viendrait inscrire le deuil dans une dynamique plus œcuménique », spirituelle mais détachée du cadre religieux.
Soulager
Pour Guillaume aussi, la démarche du directeur de l’Institut Pasteur de Toulouse fait sens. « Cela me paraît être une bonne chose, notamment pour nos enfants ou petits-enfants. Ils pourraient voir un proche disparu comme si cette personne était toujours en vie. » Eternesia, selon son fondateur, permettrait effectivement d’atténuer la douleur des restants en leur retirant ce fardeau de l’oubli.
Mais il s’agit également de soulager la douleur des personnes en fin de vie. « Songer à notre transmission nous aide à rester vivant et donne du sens au temps qu’il nous reste », ajoute ainsi le père d’Eternesia.
Du sens pour l’éternité
Certains doutent. Sofiane, un de nos lecteurs, s’émeut ainsi de cette éternité de façade. « La vie est intéressante parce qu’elle cesse un jour », écrit-il. Contre toute attente, Dominique Pon abonde dans son sens. « Justement, Eternesia s’inscrit dans l’acceptation de notre fin. Je dirais même plus, l’acceptation généreuse et positive de notre propre finitude. C’est l’inverse de l’utopie des Gafa et d’un genre de vie éternelle », explique-t-il.
Alors que la question de la mémoire numérique est incontestablement un des grands enjeux de notre siècle, les possibilités sont finalement assez simples, estime Dominique Pon : « Soit on continue à être passif sur cette question, soit on crée le siècle des lumières numériques. » Si Eternesia reste un projet complexe à la fois sur le plan éthique, technique et structurel, une chose est certaine, pour cet infatigable humaniste elle aura du sens et ce pour l’éternité.