Notre monde est-il condamné à être ubérisé?

Economie Après les taxis, les hôtels et la restauration, jusqu'où ira l'ubérisation? La réponse avec trois spécialistes...

Julien Valnier
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Un passant utilisant l'application Uber.
Un passant utilisant l'application Uber. —

Une ombre plane sur la France, celle de l’ubérisation. Depuis que le géant américain des VTC y a étendu ses ailes, hommes politiques et médias se divisent sur l’attitude à adopter face à ce bouleversement des rapports de force dû au numérique.

Car il n’y a pas que les taxis à être «ubérisables»: après les hôtels avec Airbnb et Booking ou la restauration avec Deliveroo et consorts, tous les services sont potentiellement dans la ligne de mire d’une start-up visant à faire mieux et moins cher grâce à des auto-entrepreneurs organisés par algorithmes.

Ainsi, une rapide recherche Google nous apprend que l’on pourrait ubériser aussi bien la Sécu que les banques, la drague, le paiement sans contact, les brasseries, les motos-taxi, la médecine, la sécurité informatique, Toulouse, les avocats voire la démocratie représentative…

 Cartographie des secteurs ubérisés ou en voie d'ubérisation: https://t.co/7U2G1XGY8F via @Uberisation_Org #Uber pic.twitter.com/ywAUDqohXx
— Christophe Robinet (@chris_robinet) 24 août 2016


Révolution numérique

«Nous sommes à l’aube d’un changement économique majeur», assure Grégoire Leclercq, président de la Fédération des auto-entrepreneurs. Pour analyser ce phénomène «sans prendre parti», il a cofondé à la mi-2015 l’Observatoire de l’Ubérisation avec Denis Jacquet, président de l’association de patrons Parrainer la croissance.

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Selon Grégoire Leclercq, trois phénomènes sont à l’origine de l’ubérisation: la numérisation de la société grâce aux smartphones et à l’ADSL, l’appétence des consommateurs pour les applications et la montée en puissance d’une classe de travailleurs indépendants. «Si celle-ci n’est encore que de 7% en France, elle s’élève déjà à 17% de la population active aux Pays-Bas et 44% aux Etats-Unis.»

Et ce phénomène devrait s’accélérer : «En 2013, seulement 5% des Français avaient entendu parler de l’économie à la demande. Ils sont désormais 45% à avoir au moins consommé une fois sur une de ces plateformes.» Les prochains secteurs visés? Le transport médical, le bâtiment et le monde de la beauté. «Les grèves de taxi n’étaient qu’un début, ça va être violent», assure-t-il. 

… ou capitalisme à l’ancienne

Une vision apocalyptique que ne partage pas Arthur De Grave, cofondateur du think tank OuiShare dédié à l’économie collaborative. «L’ubérisation est un concept fourre-tout qui sert d’épouvantail afin de vendre du consulting aux grands groupes du CAC40», explique-t-il. «Non pas que j’en accuse l’Observatoire, qui fait un véritable travail de recherche.»

 "Uber t’es foutu, la #blockchain est dans la rue » https://t.co/e6iCBI765f Entretien avec @MillennialChris (#ArcadeCity) par @Come_Bastin — Arthur De Grave (@ArthDeG) 26 mai 2016 



Pour lui, le concept est cependant biaisé : «Il ne suffit pas de développer une app et de la mettre sur un marketplace. Pour s’imposer, Uber a dû aller chercher ses chauffeurs comme n’importe quelle entreprise et déployer des efforts impressionnants en termes de lobbying.» Du capitalisme à l’ancienne, en somme.

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«Les néolibéraux aiment toujours se cacher derrière des phénomènes sociaux prétendument naturels, mais l’ubérisation repose finalement sur des stratégies commerciales classiques pour casser les prix». A savoir: l’optimisation fiscale et le dumping social. «Ce modèle se heurtera rapidement aux lois et aux conflits sociaux. On le voit en ce moment même avec les grèves chez Deliveroo au Royaume-Uni.»

Ubériser Uber

Et que pense Uber de l’ubérisation? «C’est une question que l’on ne nous avait encore jamais posée», s’étonne, a priori sans ironie, Grégoire Kopp, porte-parole d’Uber France. «En tant qu’entreprise devenir un nom commun est une bonne chose en termes de notoriété. A nous de transformer ça en popularité». Pour cela Uber a choisi d’installer un siège avec une centaine d’employés à Paris afin d’y payer des impôts, «et non pas à Dublin ou Amsterdam comme d’autres start-up».

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Quant à la suite de la vague ubérisatrice, celle-ci nécessitera l’établissement d’un cadre juridique clair, assure Grégoire Kopp. «Un rapport sénatorial a proposé de fixer un plafond de 5.000€ par an pour séparer les professionnels et les amateurs. C’est ce genre d’avancées légales que nous réclamons.» Et de rappeler qu’Uber n’a pas été la première entreprise numérique à bouleverser l’économie : «Si on y pense, les agences matrimoniales ont été Meetic-isées depuis près de 15 ans.»

Pourrait-on un jour voir Uber se faire Ubériser? Par exemple avec Arcade City et son appli sans aucune commission, basée sur la technologie blockchain? «C’est un projet intéressant et la concurrence est plus que bienvenue. Mais en se passant totalement d’intermédiaires, ils en oublient le service client. Le nôtre traite 80% des demandes en moins d’une heure». La preuve pour Uber que les salariés ne sont pas tous ubérisables.