Lille : La destruction d’un scellé clôt singulièrement une enquête sur une jeune femme morte dans la Deûle
INJUSTICE La mère d’une victime a décidé d’une action civile pour engager la responsabilité de l’Etat après la destruction d’un scellé contenant les vêtements de la victime, retrouvée morte dans la Deûle en 2012
- Une enquête, puis une information judiciaire avaient été ouvertes après la découverte du corps d’une jeune femme dans la Deûle, à Lille, en 2012.
- Après l’ouverture, une seconde fois, d’une enquête, la justice s’est aperçue qu’un scellé contenant les vêtements de la victime avait disparu.
- La mère de la victime a décidé de mener une action civile pour « engager la responsabilité de l’Etat ».
Quand la malédiction s’abat sur un dossier judiciaire. Voilà plus de huit ans que la justice enquête sur la mort d’une jeune fille retrouvée dans la Deûle, à Lille. Après avoir connu de multiples rebondissements, l’affaire vient de connaître un épilogue douloureux pour la mère de la victime : la destruction d’un scellé vient clore une nouvelle fois l’instruction.
Pour Dominique Blondiaux, qui habite dans le Cambrésis, la vie s’est arrêtée le jour où on lui a annoncé la mort de sa fille, Ingrid Marchal, âgée de 32 ans. C’était le 31 décembre 2012, en fin d’après-midi, par téléphone. La jeune femme avait disparu quinze jours plus tôt.
Elle a été retrouvée dans le canal lillois, là où, en début de mois, le corps d’une autre femme était remonté à la surface. L’année précédente, c’est dans ce même secteur qu’était née l’affaire dite des « noyés de la Deûle ».
Les failles de l’enquête
La mère d’Ingrid Marchal n’a jamais cru à la thèse de l’accident ou du suicide. Sa fille nouait une relation tumultueuse avec son amant, un homme marié. Ses soupçons se sont portés sur cette liaison, mais aucune preuve n’a pu être apportée quant à la culpabilité d’une quelconque personne extérieure. Même si l’enquête révèle quelques failles : relevés téléphoniques mal exploités, menaces de mort non vérifiées, expertises qui se contredisent autour de possibles traces de préhension…
Une première enquête préliminaire était rapidement classée sans suite avant que Dominique Blondiaux ne se porte partie civile et qu’une instruction judiciaire soit déclenchée pour homicide. Une juge est saisie en mai 2014. Trois juges vont se succéder sur le dossier sans que la lumière ne puisse être faite.
Faute d’éléments probants, une ordonnance de non-lieu est rendue, en juillet 2018. Avec l’impression d’un dossier bâclé pour la mère de la victime. « Dans une expertise, le prénom d’Ingrid a été transformé en Corinne. La même erreur sera commise lors de l’audition de la cour d’appel », s’insurge-t-elle.
Un scellé que personne ne retrouve
L’affaire semble définitivement close en juin 2019 après le rejet du pourvoi en cassation. Ce calvaire judiciaire, Dominique Blondiaux le raconte dans un livre Ingrid, le mystère de la Deûle, paru en octobre 2019.
C’est alors qu’un nouveau rebondissement vient secouer cette mère en colère. « A partir de juillet 2019, j’ai demandé plusieurs fois l’exploitation ADN des vêtements de ma fille pour éventuellement trouver des traces suspectes. Personne ne savait où était le scellé », raconte Dominique Blondiaux.
Elle fait des pieds et des mains pour le retrouver, baladée de services en services. Jusqu’au jour où elle apprend, en juin 2020, que l’instruction a été rouverte, à la demande du ministère public pour « recherches supplémentaires des causes de la mort ».
Faux espoirs
Un nouvel avocat, Me Jean-Yves Moyart, se saisit du dossier et réclame, à son tour, de nouvelles investigations, dont l’exploitation ADN des vêtements. L’espoir de découvrir enfin la vérité renaît. Hélas, le travail de Me Moyart ne pourra aller à son terme. Il décède le 20 février.
La même semaine, une autre triste nouvelle s’abat sur Dominique Blondiaux. Elle apprend par le vice-procureur de Lille que l’instruction, ouverte sept mois plus tôt, a été refermée. Pourquoi ? En partie, parce que le scellé des vêtements de sa fille a été détruit en janvier 2020, soit six mois avant la saisine du juge d’instruction. Et quelques semaines après que l’affaire eut été médiatisée.
« Madame Blondiaux est anéantie et reproche à la justice de l’avoir laissée dans l’ignorance de la destruction des scellés tout en lui donnant de faux espoirs en rouvrant l’enquête », dénonce Me Margaux Machart, qui a repris le dossier après la mort de Me Moyart.
Une action civile pour « engager la responsabilité de l’Etat »
D’autant que les raisons de la destruction sont surprenantes. « Il apparaît que le scellé a fait l’objet d’une décision de destruction au motif que l’enquête était classée sans suite depuis le 20 mars 2013. Or, une information judiciaire a été ouverte dès 2014 et cette instruction a duré jusqu’en décembre 2018. Il est donc surprenant que l’ordre de destruction mentionne un classement en 2013 », explique Me Machart.
La mère de la victime a donc décidé de mener une action civile pour « engager la responsabilité de l’Etat sur le fondement d’un fonctionnement défectueux du service public de la justice », selon son avocate. « Elle le fait pour la mémoire de sa fille et pour que d’autres familles ne soient pas confrontées à ce type de dysfonctionnement. »