Coronavirus à Lille : « Les tests massifs, c’est la chimiothérapie pour tuer les dernières cellules », selon le chercheur Philippe Froguel

SANTE Le chercheur lillois Philippe Froguel a proposé aux autorités de piloter une opération de testing massif et rapide dans la métropole de Lille

Propos recueillis par Gilles Durand
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Philippe Froguel, médecin, chercheur en endocrinologie, biologie moléculaire et génétique.(Archives)
Philippe Froguel, médecin, chercheur en endocrinologie, biologie moléculaire et génétique.(Archives) — M.LIBERT/20 MINUTES
  • Pour Philippe Froguel, chercheur à Lille, les tests de dépistage massifs et rapides sont les seuls moyens d’empêcher une troisième vague de l’épidémie de Covid-19.
  • Il propose, avec son équipe d’experts, de piloter une expérimentation dans la métropole lilloise, où le coronavirus circule beaucoup.
  • Le ministère de la Santé doit donner son accord très rapidement.

Et si on organisait une opération de testing rapide et massive pour stopper l’épidémie de Covid-19 ? L’idée est dans les tuyaux gouvernementaux depuis qu’un chercheur lillois, Philippe Froguel l’a proposé au président Emmanuel Macron, il y a quelques jours. Avec son équipe d’experts, Il se dit volontaire pour piloter cette expérience dans la métropole lilloise, dès la semaine prochaine, car l'intérêt est de le faire avant un éventuel déconfinement.

Comment est né ce projet de tests de dépistage massifs ?

Nous ne sommes pas passés par le ministre de la Santé, mais par Emmanuel Macron. C’est lui qui a été intéressé et qui a missionné Olivier Véran pour le mettre en place. C’était volontaire de procéder ainsi car on pense qu’en France, pour que les choses se fassent, il faut que ce soit soutenu par le Président de la République. Monsieur Véran, qu’on a eu deux fois en visio, a répété que c’était une demande du président.

Aujourd’hui, vous attendez donc le feu vert du ministère ?

Nous lui avons envoyé une note opérationnelle, dimanche, précisant les modalités d’organisation. Nous sommes un peu inquiets car on nous avait promis une réponse pour la fin de semaine et nous n’avons pas de nouvelles. Sinon, l’idéal serait de pouvoir mettre en place cette expérience avant la fin du mois de novembre.

Pouvez-vous nous expliquer en quoi cela consiste ?

Il s’agit de mettre en place des tests massifs sur un territoire dans un laps de temps réduit comme ça a été fait à Liverpool, en Angleterre, et en Slovaquie, à l’échelle du pays. Olivier Véran a cité Lille et Roubaix pour mener cette expérience pilote. Je suppose que la densité de population et le taux d’incidence élevé de ces deux villes y sont pour quelque chose. Il a aussi cité Saint-Etienne. Mais apparemment Saint-Etienne sera fait indépendamment par Laurent Wauquiez [le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes] qui a la même idée pour sa région. L’intérêt est de le faire sur une zone géographique représentative.

Quel est l’intérêt ?

Arriver à la fin du déconfinement avec un nombre de porteurs sains qui ne le savent pas le plus faible possible pour qu’on tienne jusqu’au vaccin et éviter une troisième vague en mars ou en avril. Si on ne fait rien, c’est le risque. Je souhaiterais qu’on parte le plus bas possible après le confinement pour retarder cette troisième vague.

Pourtant, on teste déjà beaucoup…

Il y a à peu près 1,5 million de tests par semaine. Mais aujourd’hui, après les cris des laboratoires d’analyses, on retourne sur des tests de sujets contacts ou symptomatiques. C’est très bien pour la santé publique, mais, en réalité, on sait que 60 à 70 % des gens qui ont le virus ne savent pas qui les a contaminés. Tester les sujets contact, ce n’est pas suffisant. Pour un cas diagnostiqué, on en a encore un ou deux qui passent sous les radars. En Slovaquie qui a 5 millions d’habitants, par exemple, on a diagnostiqué 50.000 personnes qui ne l’auraient pas été sinon, et qui ont été isolées.

L’isolement, c’est une étape obligatoire ?

C’est ce qu’on aurait dû mettre en place depuis longtemps. Les hôtels Accor ont proposé leurs chambres. D’autres hôtels qui pourraient être sollicités. A Lille, il y a des centaines de chambres qui sont inutilisées. Il faut l’organiser avec les mairies. En France, on n’utilise pas assez le pouvoir municipal.

Comment organiser ces tests ?

Il faut que ce soit resserré dans le temps pour être efficace. La durée de vie d’un virus, c’est une semaine dans un individu. Un test massif permet quasiment d’éradiquer, comme ça a été fait en Chine, en Nouvelle-Zélande où dans d’autres pays où ils ont tapé très fort. Je ne pense qu’on peut éradiquer totalement car il faudrait fermer les frontières, mais on explique avec l’image du cancer : au départ, le bistouri du chirurgien enlève le gros de la tumeur et nous, ce qu’on propose, c’est la chimiothérapie pour tuer les dernières cellules car on sait qu’elles peuvent se multiplier de manière exponentielle. Et l’épidémie repart.

Comment faire tous ces tests en même temps, Lille et Roubaix représentant plus de 300.000 habitants ?

Olivier Véran nous a dit qu’il fallait 50.000 personnes pour réaliser ces tests. L’Etat n’a pas ces personnes-là. Il faut que les villes soient partenaires. Et si une partie de ces tests est antigénique, les pharmaciens peuvent aussi le faire. Il faut que tout le monde s’y mette. Les pharmaciens de Lille ont récemment demandé à installer des tentes devant leur officine pour pratique des tests, la ville a refusé.

Ça demande une logistique impressionnante…

Ça a déjà été fait ailleurs. Le problème, en France, est qu’on imagine qu’une méthode de test doit être idéale. Au contraire, il faut utiliser plusieurs méthodes, avec leurs avantages et leurs inconvénients, qui, mises ensemble, deviennent efficaces. Par exemple, en Angleterre, un institut de sondage envoie des tests salivaires et les gens les renvoient. Les personnes âgées, il faudra aller les tester chez elles ou envoyer des kits salivaires. Il faut multiplier les méthodes de tests. Le problème, c’est que ces tests, depuis le début, ce ne sont que des histoires corporatistes et de pognon.

C’est ce qui bloque ?

Il y a d’autres freins. Le ministère de la santé qui a peur de tout et la haute autorité de santé qui fait du blocage en voulant tout contrôler alors qu’elle n’en a pas les moyens. La France possède une bureaucratie bloquante.

Vous pensez que cette expérience pourra être mise en place ?

Un pilote, c’est pour essayer. Si on ne peut pas mettre en place ce genre d’expérience, on priera pour que ça se passe le moins mal possible entre les fêtes de fin d’année.