50.000 m², Euroméditerranée, terrain inondable… Le point sur le projet de cité judiciaire à Marseille
DEMENAGEMENT Le ministre de la Justice a annoncé ce lundi à Marseille le déménagement de l’ensemble des tribunaux de la ville, majoritairement dans le centre, vers un seul et même site plus au Nord
Après des mois de contestation, le ministre de la Justice a tranché. Pour sa première sortie médiatique depuis son procès, le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti a annoncé le déménagement de l’ensemble des tribunaux de Marseille, majoritairement dans le centre-ville de la cité phocéenne, en un seul et même site plus au nord. 20 Minutes fait le point sur cette nouvelle « cité judiciaire » et les interrogations qu’elle soulève.
Quel est ce projet ?
« Une cité judiciaire, c’est un lieu, un espace qui va regrouper toutes les juridictions, qu’il s’agisse du tribunal de commerce, du conseil des prud’hommes, des juridictions pénales, les juridictions civiles, et les Marseillais méritaient d’avoir ce lieu », fait valoir le ministre de la Justice. A l’heure actuelle, les différents tribunaux de Marseille sont éclatés en sept sites, majoritairement dans le centre de la cité phocéenne. De plus, ces tribunaux se trouvent bien trop petits au regard de l’activité dense du parquet de Marseille et du nombre de magistrats, en hausse après un récent renfort d’effectifs. « C’est difficile de courir d’un endroit à l’autre, fait valoir le garde des Sceaux. La justice doit être une justice de proximité. »
Eric Dupond-Moretti a donc décidé de faire déménager tous ces tribunaux et faire construire un seul et unique palais de justice dans le quartier Euroméditerranée, au nord de Marseille. Selon nos informations, cette cité judiciaire serait érigée sur un terrain qui se situe plus précisément près de la tour CMA-CGM, le long de la rue Saint-Antoine, dans un quartier en requalification, proche de l’autoroute et des terminaux portuaires. « La superficie envisagée est de l’ordre de 50.000 m² au plancher, précise David Barjon, directeur général de l’agence publique pour l’immobilier de la justice (Apij) qui pilotera la construction du bâtiment. On ne sait pas à quoi ressemblera exactement ce bâtiment, même s’il s’agira probablement d’une seule tour. Nous allons lancer un concours d’architecture et voir en fonction de nos besoins quel type de bâtiments va être retenu. » Pour ce nouveau tribunal, Eric Dupond-Moretti a annoncé un investissement de 350 millions d’euros et espère une inauguration d’ici 2030, « au mieux ». « Les programmes techniques sont déjà lancés et je pense pouvoir venir revenir à Marseille pour poser la première pierre », affirme le ministre.
Pourquoi à Euroméditerranée ?
Trois options étaient jusqu’ici sur la table. La première, portée par le député Renaissance de secteur Lionel Royer-Perreault, consistait en la construction d’une vaste cité judiciaire sur un terrain à la Capelette, dans le 10e arrondissement, à égale distance du nouveau siège de la police marseillaise dans le quartier Saint-Pierre, dans le cinquième arrondissement, et de la prison des Baumettes qui s’apprête à être agrandie. La mairie de Marseille avait pour sa part plaider pour une reconstruction sur le site principal, dans le centre-ville. L’Etat portait depuis le départ ce projet à Euroméditerranée, dans le quartier d’Arenc. Ce quartier pauvre aux portes des quartiers nord est en pleine requalification depuis le début des années 2000, avec l’ambition de le transformer en quartier d’affaires où s’alignent les gratte-ciel.
« Nous avons longtemps, longtemps cherché un lieu en centre-ville et nous ne l’avons pas trouvé, parce que regrouper toutes les juridictions, c’est une emprise foncière qui est telle que la mairie de Marseille n’en dispose pas, en réalité », affirme Eric Dupond-Moretti. Et de faire valoir : « en plus, avec les travaux sur le long terme, nous irions vers un blocage de tout un quartier. Si on envisageait les travaux là où se trouvent les anciens palais de justice, le quartier est bouclé pendant des années. Rajoutons à cela les travaux du tramway et disons qu’il y aurait un problème pour que la justice puisse déménager ses dossiers. »
« J’entends aussi les arguments de la maîtrise foncière, avance Lionel Royer-Perreaut. Le foncier, vous l’avez déjà, puisqu’il appartient à l’Etat à travers l’établissement public Euroméditerrannée. Il n’y a donc pas besoin de négocier. Et le permis de construire est délivré par le préfet, ce qui permet d’éviter une forme de chantage de la part du maire de Marseille qui, opposé à ce site, aurait pu ne pas délivrer de permis de construire. » Et d’ajouter : « il y a aussi la fonctionnalité avec à proximité le métro et le tramway, et sa situation à l’entrée de la ville qui réduit la distance avec la prison de Luynes. »
La construction de cette cité se heurte toutefois à une difficulté de taille : le terrain retenu est inondable selon plusieurs sources concordantes, et des travaux sont nécessaires sur le ruisseau des Aygalades. « Nous allons démarrer les travaux dès que la métropole ou Euroméditerrannée auront résolu cette question et fait des travaux dans le parc des Aygalades », prévient David Barjon.
Que va-t-il advenir des actuels locaux ?
Le garde des Sceaux a annoncé vouloir par ailleurs la reconversion des actuels palais Monthyon, Autran et Fortia, dans le 6e arrondissement. « Je souhaite que dans les anciens lieux de justice, il y ait une antenne de l’école nationale de la magistrature, avec des attachés de justice que nous allons former, l’école du barreau et peut-être une délocalisation de l’école nationale des greffes. » Le ministre de la Justice n’a pour autant pas évoqué l’avenir des autres sites, notamment le tribunal administratif et le conseil des prud’hommes. « Aucune piste concrète n’a été évoquée sur le devenir du Palais de Justice actuel, un bâtiment emblématique du centre-ville de Marseille », déplore la CCI dans un communiqué.
Qu’en pensent les avocats ?
Au printemps dernier, le barreau de Marseille avait fait valoir son opposition à ce déménagement dans le quartier d’Arenc, au point de déclarer « la guerre » à Eric Dupond-Moretti. Ces derniers préféraient en effet rester en centre-ville, plutôt que devoir se déplacer sur ce site plus excentré et moins bien pourvu en commerce aux alentours. Le ministre avait donc chargé le préfet de région Christophe Mirmand de mener une concertation. « On a eu l’impression que la concertation qu’on nous a annoncée n’en était pas vraiment une, regrette Mathieu Jacquier, bâtonnier de Marseille. Nous n’avons par exemple pas eu accès au document de travail qu’a établi le préfet pour le ministre. » Le bâtonnier n’entend pas en rester là, y compris s’il s’agit de déplacer la fronde sur le plan judiciaire, avec le dépôt d’un recours. « On verra, prévient Mathieu Jacquier. Aujourd’hui, il n’y a pas de permis de construire. Mais rien n’est exclu. »
Et les commerçants ?
La nouvelle a été très mal accueillie par les commerçants du centre-ville qui, eux aussi, aux côtés des avocats, avaient fait part de leurs inquiétudes. Une étude réalisée l’an dernier par la CCI auprès de la moitié des avocats du barreau de Marseille estime, selon leurs déclarations, que les dépenses des avocats dans le centre-ville se chiffrent à 18,3 millions d’euros par an, dont 7,41 millions dans la restauration. « C’est une catastrophe, s’affole Guillaume Sicard, président de la fédération des commerçants Marseille Centre. Beaucoup de gens sont contre et c’est vraiment un coup porté au centre-ville. Je trouve ça un peu fort de café que le gouvernement lance d’un côté une politique de redynamisation du centre-ville et fasse en même temps une opération comme ça. Le manque à gagner est énorme pour nous. »
« Moi, je préfère avoir des avocats que des étudiants, note Bernard Marty, président de l’union des métiers et de l’industrie de l’hôtellerie (Umih) dans les Bouches-du-Rhône. Ce n’est pas le même pouvoir d’achat ! C’est quand même pas pareil ! »
Dans un communiqué, la CCI déplore « une décision prise depuis Paris, hors sol et ce, malgré les positions locales contraires. ». « Le ministre a fait des annonces ce matin, et nous serons vigilants », prévient Yannick Ohanessian, adjoint à la mairie de Marseille en charge de la sécurité. Le ministre a annoncé en effet une nouvelle consultation menée par le préfet jusqu’au printemps 2024 visant à accompagner les commerçants.