Procès de Rédoine Faïd : « Il faut absolument que tu m’aides à m’évader… » Comment Rachid s’est rendu complice
PROCES Alors qu’il avait gardé le silence pendant toute l’instruction, Rachid Faïd s’est longuement exprimé ce vendredi, reconnaissant son implication dans l’évasion de son frère
- Rédoine Faïd est jugé depuis le 5 septembre et pour sept semaines pour son évasion en hélicoptère de la prison du Réau, le 1er juillet 2018. Le braqueur multirécidiviste encourt la perpétuité.
- Onze autres personnes, soupçonnées de l’avoir - à divers degrés - aidé lors de son évasion ou pendant sa cavale, comparaissent à ces côtés.
- Jeudi, la cour a commencé à se pencher sur le fond du dossier.
A la cour d’assises à Paris,
Les deux hommes se ressemblent comme deux gouttes d’eau. Même silhouette frêle, légèrement voûtée, même crâne dégarni, même traits creusés. Brahim et Rachid Faïd, 63 et 65 ans, ont toujours été extrêmement proches. Ce vendredi aussi, dans la grande cour d’assises de Paris, leur complicité est manifeste. Ils sont assis face à face, l’un dans le box, l’autre sur le banc des accusés. Tous deux sont soupçonnés d’avoir aidé – à divers degrés – leur petit frère, Rédoine Faid, à s’évader en hélicoptère de la prison du Réau, le 1er juillet 2018. Mais si Brahim nie fermement toute implication, Rachid, lui, reconnaît sans détour sa participation.
Selon son récit, Rédoine Faïd lui a fait part de ses envies de liberté en 2017, en lui faisant passer deux courriers. « Il m’a dit : "il faut absolument que tu m’aides à m’évader". ». Le braqueur multirécidiviste est à l’isolement depuis 2013 et sa précédente évasion de Lille-Sequedin et purge plusieurs très longues peines. Il n’est pas libérable avant 2046. « J’ai dit : "je réfléchis" ». La réflexion dure un mois ou deux. « Dès le jour où il m’a parlé, je savais que ce n’était pas bien. » Mais Rachid accepte. Pour le lui signifier sans éveiller les soupçons - les parloirs sont sur écoute - les deux hommes ont convenu d’un signe. Il le mime dans le box : il doit se gratter l’oreille. « C’est un frère, c’est les liens du sang. Je suis entre le marteau et l’enclume. J’ai sacrifié ma famille pour faire ça », assure-t-il, la gorge nouée.
Un commando de six personnes
S’il a gardé le silence tout au long de l’instruction, Rachid Faïd était bien décidé à parler, ce vendredi. « Dans l’équipe de l’évasion, au total, on est six », raconte le sexagénaire. Son rôle à lui était double : identifier un pilote suffisamment compétent pour mener à bien cette mission et surtout « couper les serrures » à l’aide d’une disqueuse thermique. Lui préfère d’ailleurs le terme de « tronçonneuse ». « C’est pour ça qu’ils m’ont pris », insiste-t-il, rappelant qu’il a fait carrière dans le bâtiment. L’opération est initialement prévue le 23 juin 2018. Ce jour-là, pas de chance, l’hélicoptère est en panne. Elle est reportée d’une semaine.
Rachid Faïd se présente à l’aérodrome avec un complice « Julien Lepetit ». Ils ont déjà fait deux vols avec ce pilote. Dix fois, vingt fois, Rachid Faïd s’excusera auprès de ce dernier pour le traumatisme infligé. Il fallait qu’il se sente « sous pression », explique-t-il, tout en niant les violences physiques. Ils l’obligent à se poser afin d’embarquer un troisième complice.
S’il refuse de donner des noms – évoquant notamment sa sécurité et celle de sa famille – Rachid Faïd jure qu’il est le seul des six membres du commando à se trouver dans le box. Qui sont donc les cinq autres ? A l’en croire, c’est un ami d’enfance de Rédoine Faïd qui a tout orchestré. Pendant des heures, il évoque les rôles de chacun en les appelant « A », « B » ou « C », il utilise parfois des surnoms, raconte avec précision les étapes. Même sous le feu des questions, il ne s’emmêle pas les pinceaux, livre un récit cohérent et une foule de détails. Qui a informé le commando que le braqueur était au parloir ? « Quelqu’un de la pénitentiaire ? », l’interroge la présidente, Frédérique Aline. « Je ne vous dirais pas madame », répond-il du tac au tac Rachid Faïd.
« C’est un marathon »
Lorsque l’hélicoptère se pose, il se dirige tout droit vers la porte, sa disqueuse à la main. « C’est cinq ou six minutes, mais c’est un marathon. C’est puissant, c’est intense, inimaginable. J’étais épuisé. » La suite, c’est Brahim Faïd qui la raconte. Comme trois fois par semaine, il était au parloir avec Rédoine lorsque l’opération a été menée. Ce jour-là, tout se passait comme à l’ordinaire. Puis tout à coup, un bruit se fait entendre. « Rédoine, il a tout de suite réagi, il m’a dit "chut, chut" et puis il a commencé à taper sur la porte », se souvient-il. Surtout, son frère, l’oblige à se taire, à rester assis. « Tu fais ce que je dis. » Le sexagénaire n’a pas mis très longtemps à comprendre ce qui était en train de se tramer. « Il a bien fait son truc. Croyez-moi, s’il m’avait prévenu, je ne serais jamais venu. Il faut être fou », insiste ce père de cinq enfants qui jusqu’à présent n’avait jamais mis un pied en garde à vue et ne connaissait la prison qu’à travers les parloirs.
Lorsque les policiers sont arrivés après l’évasion, ils ont noté sur leur PV qu’il était « recroquevillé dans un coin », semblait « choqué, incrédule ». La présidente insiste, compte tenu du nombre de parloirs avec son frère, n’a-t-il pas pu faire passer des informations aux membres du commando ? Qui a donné le top départ de l’opération ? « Je ne sais pas, moi, je suis hors de tout cela », insiste-t-il, rappelant qu’il a laissé son téléphone, à l’entrée et que la téléphonie n’a jamais mis en lumière de message suspect. Et que penser de ces 48 heures passées en unité de vie familiale – sorte d’appartement au sein de la prison - avec Rachid et Rédoine deux mois auparavant ? « Il n’y a jamais eu de complot, insiste-t-il, je n’étais au courant de rien. » Brahim Faïd a été mis en examen sur le tard, soupçonné d’avoir pris des contacts dans un précédant projet d’évasion qui a finalement été abandonné.
« J’en veux à mon frère d’avoir embarqué tout le monde dans cette histoire », confie Rachid Faïd, affirmant que s’il avait su que Brahim et trois de ses neveux seraient un jour devant une cour d’assises, il aurait « refusé de participer ». A l’autre bout du box, Rédoine l’écoute. En fin de journée, la présidente lui demande s’il souhaite réagir. « Je m’en veux énormément, c’est le meilleur frère du monde », confie-t-il, assurant que, lundi, lors de son audition, il dirait des choses qui « éclaireraient » la cour.