Marseille : Le couple Guedj passé au gril des soupçons d’insolvabilité organisée
PROCES Entendue à la barre, la femme de Lionel Guedj a longuement été interrogée, dans des échanges tendus avec la cour, sur les soupçons d’organisation d’insolvabilité par son mari Lionel Guedj, ancien dentiste accusé de mutilations dentaires à Marseille
- En cette deuxième semaine de procès en appel, la femme de Lionel Guedj était appelée à la barre en tant que témoin.
- L’occasion pour la cour d’interroger l’épouse de l’ancien dentiste le plus riche de France sur les soupçons d’insolvabilité qui vise le praticien des quartiers nord de Marseille.
- Une part importante du patrimoine de Lionel Guedj appartient en effet désormais à sa femme, les enquêteurs accusant Lionel Guedj de vouloir par ce stratagème le mettre à l’abri d’éventuels dommages et intérêts.
En quelques mois, elle a vu son patrimoine gonfler d’un coup, elle, la mère au foyer, déclarée comme employée occasionnelle dans le cabinet dentaire de son mari, dans les quartiers nord de Marseille. Il y a d’abord eu la maison familiale à Aix-en-Provence, estimée à un peu plus d’un million d’euros. Quand Lionel et Emmanuelle Guedj l’ont achetée en janvier 2012, chacun remboursait sa part. En mars 2013, Lionel donne sa part à son épouse.
Un mois plus tard, c’est au tour du bureau de tabac qu’il lui avait offert, sur le cours Mirabeau, l’artère la plus passante de la chic Aix-en-Provence, pour qu’elle y exerce en tant que buraliste. Quarante-huit des 49 parts que comprend le fonds de commerce sont cédées par le dentiste à Emmanuelle Guedj. Même chose pour l’ancienne clinique que Lionel Guedj a achetée à Perpignan afin de le transformer en investissement immobilier, dont la valeur est estimée à 2,75 millions d’euros. Lionel Guedj cède 90 des 100 parts de son bien à son épouse, dans ce même laps de temps.
Douze millions d’euros de patrimoine
Le praticien est alors mis en examen depuis quelques mois et interdit d’exercer. Il est accusé d’avoir mutilé des centaines de ses patients en dévitalisant à la chaîne des dents saines, devenant ainsi le dentiste le plus riche de France, et de s’être constitué par ce biais un patrimoine d’une valeur de plus de 12 millions d’euros, sur le dos de la Sécurité sociale. Des faits qui lui vaudront en 2022 une première condamnation à huit ans de prison, et un nouveau procès en appel qui s’est ouvert la semaine dernière.
Et au cours de leurs investigations, les enquêteurs soupçonnent Lionel Guedj d’avoir orchestré une ultime manœuvre : son insolvabilité, afin de mettre ce fameux patrimoine à l’abri de possibles dommages et intérêts. Condamné en première instance à des sommes qui dépassent le million d’euros, le dentiste est soupçonné d’avoir multiplié les dons patrimoniaux à sa femme, et est visé par une procédure sur le sujet. Et en ce septième jour de procès, la question, épineuse, s’invite à la barre. Car ce n’est pas Lionel Guedj, mais Emmanuelle Guedj, celle qui a hérité de ces dons, qui est entendue, en tant que témoin, mais aussi tiers, ses biens pouvant être saisis en cas de confirmation de la peine en appel.
« Comme un praticien peut faire un choix thérapeutique »
A la notaire de formation, le président de la cour d’appel pose la question une fois, deux fois, cent fois. Pourquoi avoir reçu ces donations ? Faut-il y voir un stratagème ? « C’était un choix de montage, comme un praticien peut faire un choix thérapeutique », répond Emmanuelle Guedj. Depuis le début des audiences, Lionel Guedj justifie les dévitalisations massives qui lui valent sa présence en prison par ce même argument du « choix ».
« Vous êtes jugée avant renvoi pour organisation frauduleuse d’insolvabilité », s’agace l’avocat de la défense, Me Julien Pinelli, auprès d’Emmanuelle Guedj. Ces mots font bondir le président. « Elle n’est pas jugée, rectifie-t-il. La cour doit bien poser la question si les donations ont été faites de bonne ou mauvaise foi. » « Je maintiens mes propos », reprend l’avocat de Lionel Guedj.
« C’est de l’abus de biens sociaux ! »
« Ce don est intervenu parce que nous devions contribuer chacun au remboursement de la maison, explique l’épouse de l’ancien dentiste, qui se dit conseillée par un notaire. Lui à la hauteur de ses revenus. Moi à la hauteur des miens. En 2012, il est mis en examen, donc il n’a plus de revenus. » Et d’insister : « Il n’est plus en mesure de gérer les sociétés, alors j’essaie de reprendre les rênes. »
Emmanuelle Guedj est questionnée de toute part par le ministère public et les avocats des parties civiles. « C’était plus pour se débarrasser de dettes que se débarrasser de patrimoine », lance-t-elle, passablement agacée, les bras croisés. « Je rembourse ce prêt depuis 2012 et je n’ai pas eu d’impayé », fait valoir Emmanuelle Guedj, avant d’annoncer que la maison a récemment été mise en vente, l’épouse étant fatiguée d’avoir « les huissiers qui sonnent tous les matins ».
Un remboursement qui étonne sur le banc des parties civiles, à commencer par Gilles Martha, l’avocat de la Sécurité sociale, qui a fait un rapide calcul. A la barre, Emmanuelle Guedj indique déclarer gagner 28.000 euros par an. Or, rien que pour rembourser le crédit de la maison, la buraliste doit débourser 5.000 euros par mois. « Sachant que la charge d’emprunt s’élève à plus de 70.000 euros par an, on a besoin de comprendre comment vous arrivez à financer tout ça », demande Gilles Martha.
« Aux moyens des revenus du tabac qui sont des récupérations de comptes courants du tabac », répond Emmanuelle Guedj. « Si vous prélevez de l’argent sur le compte courant de votre commerce, c’est de l’abus de biens sociaux ! » s’étrangle le président. « Ah non, j’ai un comptable suffisamment pointu ! » Selon des déclarations de l’avocat général pendant l’audience, la copie de la procédure pour organisation d’insolvabilité visant Lionel Guedj a été demandée par le ministère public de sorte que le détail soit évoqué lors du procès, qui se tient jusqu’à la fin du mois.