Marseille : Jean-Claude, l’autre docteur Guedj accusé de mutilations dentaires

PROCES Le père de Lionel Guedj est lui aussi accusé d’avoir mutilé des centaines de patients des quartiers nord de Marseille aux côtés de son fils dans leur cabinet médical, mais il tente, dans ce procès en appel, de prendre ses distances

Mathilde Ceilles
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Jean-Claude Guedj derrière son fils Lionel, tous deux dentistes accusés d'avoir mutilé des centaines de patients des quartiers nord à des fins mercantiles
Jean-Claude Guedj derrière son fils Lionel, tous deux dentistes accusés d'avoir mutilé des centaines de patients des quartiers nord à des fins mercantiles — Christophe Simone / AFP
  • Le procès de deux anciens dentistes, les docteurs Guedj père et fils, s’est ouvert en appel à Marseille le 25 mai dernier.
  • Lionel Guedj, fondateur du cabinet dentaire dans lequel des centaines de patients auraient été victimes de mutilations, est le personnage central de ce dossier.
  • Son père, Jean-Claude Guedj, est lui aussi accusé des mêmes faits, et tente de prendre de la distance avec son fils.

« Le docteur Guedj était quelqu’un de gentil ». Ces mots prononcés ce vendredi à la barre par Sophie, ancienne assistante dentaire du dentiste, font bondir sur les bancs des victimes des docteurs Guedj. Le « quelqu’un de gentil » vit le quatrième jour de son procès en appel, accusé de mutilations dentaires sur des centaines de patients des quartiers nord de Marseille. Il ne faut toutefois pas s’y méprendre. Le docteur Guedj qu’évoque Sophie à la barre, ce n’est pas Lionel, celui dont tout le monde parle dans ce dossier, celui qui a fondé ce cabinet dentaire dans le quartier de Saint-Antoine en 2005, là où tout a commencé. C’est un certain Carnot Guedj, lui aussi accusé d’avoir dévitalisé des dents saines de patients pour leur poser des prothèses très lucratives et médicalement injustifiées, jusqu’à leurs mises en examen en 2012. Le même Carnot Guedj qui s’est retrouvé envoyé dans la même prison que son fils, en septembre 2022, dans cette affaire hors norme.

Sophie a connu Carnot Guedj bien avant tout ça. D’ailleurs, comme beaucoup, elle ne l’appelle pas Carnot, mais par son deuxième prénom, Jean-Claude. L’assistante dentaire a été embauchée en 2008 dans un cabinet dans lequel Jean-Claude Guedj exerçait depuis plusieurs années déjà, à Marignane, aux portes de Marseille. « Le matin, il nous amenait les pains au chocolat, poursuit-elle. Quand il faisait une pause à dix heures de cinq minutes, il était à nos côtés. Quand on était fatigués, il comprenait. C’est quelqu’un qui, avec nous, était très agréable. »



« Père et fils sont très proches »

Quand il avait fini ses journées à Marignane, Jean-Claude Guedj entamait une seconde journée, aux côtés de son fils, à Saint-Antoine. Le père était devenu salarié du fils pour devenir son bras droit, alors que Lionel Guedj menait de front son activité professionnelle et ses deux chimiothérapies. Le fils a guéri. Le père est resté. « Père et fils sont très proches, note à la barre la directrice d’enquête, Carole Bassompierre. Ils ont de l’admiration l’un pour l’autre. Le père travaillait dans le cabinet du fils, mais, d’après les auditions, il était plus là quand Lionel Guedj avait un problème technique voire relationnel avec certains patients, Il réussissait peut-être à calmer les gens. Il passait le relais à son père quand il était en difficulté. Et mon ressenti, c’est qu’il n’y a pas eu de sonnette d’alarme du père Guedj. Ça, c’est certain. » Le dentiste est accusé par les anciennes secrétaires du cabinet d’avoir même falsifié des radios alors que son fils et lui faisaient l’objet d’une enquête de la Sécurité sociale, ce qu’il conteste.

Dans la motivation de sa décision qui a abouti à la condamnation en première instance de Jean-Claude Guedj, avant que les dentistes interjettent appel, le tribunal correctionnel enfonce le clou. « Il apparaît qu’à de nombreuses reprises, Jean-Claude Guedj était présent lors du rendez-vous au cours duquel Lionel Guedj envisageait les dévitalisations de dents aux fins de pose de prothèses. Il était consulté sur les travaux envisagés, mais également, il pouvait procéder lui-même à des dévitalisations de dents dans le cadre de ces plans de traitement, ce qui ne fait aucun doute quant à sa connaissance des soins entrepris. »

« C’est allé trop loin, trop vite »

En liberté conditionnelle depuis le mois de mars dernier dans l’attente de son procès en appel, Jean-Claude Guedj a fait une demande à la cour, accordée par les magistrats. Pouvoir embrasser son fils, qui purge une peine de huit ans de prison, à l’écart de la salle d’audience, au début du procès. A chaque suspension d’audience, il va le voir, pour lui parler, un bref instant. Mais ce soutien sans faille à son fils, Jean-Claude Guedj s’en écarte, une fois à la barre. Pour ce procès en appel, là où les mea culpa et remises en cause de Lionel Guedj, plutôt offensif, sont rares, Jean-Claude Guedj s’efforce dès les premiers jours de prendre de la distance avec son fils, dans ses mots comme dans son attitude. Avec l’impression, en filigrane, qu’il faut sauver sa peau.

« Au niveau des plans de traitement, personnellement, j’en faisais exceptionnellement, insiste Jean-Claude Guedj. Tous les gens ne venaient pas pour voir Jean-Claude Guedj. Il ne venait pas me voir moi. Il s’en tapait de moi. » Et de rappeler : « A l’époque, j’avais pas loin de 60 ans. Et entre Marignane et Saint-Antoine, je faisais 50 heures par semaine. A cet âge-là, à ce rythme-là, on tient deux ou trois mois. Franchement, à cette époque, j’étais un peu surbooké. J’étais même largué. J’étais fatigué. Le rôle que j’avais au cabinet de mon fils, c’était essentiellement de le dépanner Il fallait faire un soin en urgence, j’étais là. Aujourd’hui, oui, je me rends compte que c’est allé trop loin, allé trop vite. Mais c’est aujourd’hui, dans le contexte. » A ses mots, dans le box des accusés, Lionel Guedj se ronge les ongles, le regard au sol. En première instance, Jean-Claude Guedj a été condamné à cinq ans de prison, et encourt, tout comme son fils, jusqu’à dix ans.