Marseille : « Je n’ai jamais dit que j’étais le meilleur dentiste du monde », se défend Lionel Guedj

PROCES Le dentiste marseillais, accusé de s’être enrichi en mutilant des centaines de patients des quartiers nord, a tenté de faire preuve de mesure avant d’être gagné par une agressivité agacée

Mathilde Ceilles
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Le docteur Lionel Guedj, dentiste des quartiers Nord au cœur d'un procès de mutilations dentaires
Le docteur Lionel Guedj, dentiste des quartiers Nord au cœur d'un procès de mutilations dentaires — Nicolas TUCAT / AFP
  • Mardi s’est tenu le deuxième jour du procès en appel de Lionel Guedj, le premier en présence de l’ancien dentiste le plus riche de France, accusé d’avoir mutilé des centaines de patients des quartiers nord.
  • Absent à l’ouverture pour raisons de santé, l’homme est apparu affaibli, après neuf mois de détention après sa condamnation en première instance.
  • Après avoir reconnu des négligences, Lionel Guedj s’est montré en fin de journée agressif et agacé.

C’est peu dire que Lionel Guedj était attendu, mardi, à la caserne du Muy à Marseille. Le procès en appel de l’ancien dentiste millionnaire, condamné à huit ans de prison en première instance, a pourtant débuté officiellement jeudi dernier déjà. Les avocats des parties civiles, les anciens patients des quartiers nord qui se disent victimes de mutilations, les journalistes, tous sont là, prêts à se pencher dans cette même salle des procès hors norme sur ce dossier tentaculaire.

Tous sauf un. Et pas des moindres : le fameux dentiste, protagoniste de cette importante affaire, accusé d’avoir dévitalisé des milliers de dents saines jusqu’à devenir le praticien le plus riche de France. A l’ouverture jeudi dernier, le box des accusés de la cour d’appel demeurait vide. Lionel Guedj était hospitalisé, victime selon son avocat d’un malaise après un dysfonctionnement de son pacemaker.

Un homme méconnaissable

Ce mardi matin, une nouvelle fois, le box est vide. A l’auditoire, le président de la cour d’appel lit les résultats de l’expertise médicale. Avec deux informations notoires. D’abord, l’état de santé de Lionel Guedj est tout à fait compatible avec sa comparution devant le tribunal. Ensuite, le pacemaker… n’existe pas. Lionel Guedj est porteur d’un autre type d’appareil, un holter sous-cutané, un petit dispositif qui enregistre le rythme cardiaque.

A la mi-journée, après de longues minutes d’attente, une foule se presse dans la cour de cette ancienne caserne militaire. Quand le fourgon de police arrive, les téléphones sont de sortie pour filmer un homme méconnaissable, amaigri, les traits tirés sous une épaisse barbe noire. Derrière la voiture, son père, Jean-Claude Guedj pleure. Le septuagénaire, dentiste également aux côtés de son fils, a également été condamné en première instance à cinq ans de prison avec mandat de dépôt, avant de bénéficier d’une liberté conditionnelle au mois de mars en attente du procès en appel.

« J’ai peut-être commis quelques négligences »

Accueilli en première instance par des insultes des victimes, Lionel Guedj entre dans la salle d’audience pour son procès en appel dans le silence, et en boitant. Le regard cerné, la bouche entrouverte, l’air hébété, il semble totalement perdu. Après plusieurs heures consacrées d’abord à des requêtes en nullité et au rappel des faits, l’ancien dentiste prend enfin la parole. Et le Lionel Guedj qui se targuait d’avoir réussi ses examens du premier coup et d’avoir été formé par les plus grands en première instance s’est visiblement mû en appel en un homme qui se veut beaucoup plus modeste. « Je n’ai jamais dit que j’étais le meilleur dentiste du monde », lance-t-il, un bloc-notes noirci dans une main, un stylo dans l’autre. « Je conteste les faits, explique-t-il pour autant. Je n’ai jamais commis de fautes volontaires. J’ai peut-être commis quelques négligences. »

Ces dévitalisations injustifiées massives ont été mises en avant par des expertises que Lionel Guedj conteste.  « Sur 100 dossiers que j’avais traités, j’ai relevé 90 expertises qui représentent des anomalies, affirme avec énergie l’ancien dentiste. J’ai la preuve matérielle et je vous le prouverai. J’ai un classeur comme ça que je vous communiquerai. J’ai même un dossier, c’est le pompon. Une personne a fait une expertise. Et cette personne, je l’ai jamais soignée ! »

Une « erreur de jeunesse »

Alors, s’il se retrouve là, c’est à cause d’une « erreur de jeunesse » selon lui : celle d’avoir été un dentiste trop dévoué qui n’a jamais refusé de patients. « Le cabinet a pris une ampleur considérable d’entrée de jeu, lance-t-il. Et les gens venaient chez moi en me disant : “Tu as refait les dents de mon cousin, moi aussi il me manque des dents.” » Et d’affirmer un peu plus tard, interrogé sur la proximité qu’entretenait Lionel Guedj avec ses patients, au point de les tutoyer : « J’ai toujours été très humain et très proche de mes patients. Je suis dans les joies et dans les peines avec eux. »



Aussi, si Lionel Guedj facturait 28 fois plus de couronnes que ses collègues, c’était, pour ce praticien, presque malgré lui. « On m’envoyait des patients qui avaient de gros, gros problèmes dentaires », insiste-t-il, sous les soupirs d’exaspération des victimes présentes dans la grande salle cubique.

« Taisez-vous une seconde »

Une pratique très lucrative qui lui a permis d’engendrer un chiffre d’affaires colossal. En quelques années, Lionel Guedj s’est constitué un vaste patrimoine, à crédit, d’environ 13 millions d’euros. Des centaines d’appartement sur la Côte d’Azur, dans des stations de ski, à la Rochelle ou Perpignan, des œuvres d’art, des voitures de luxe… « C’était des opérations de défiscalisation, bien évidemment », justifie l’ancien dentiste. Pris à la gorge par des créances, Lionel Guedj serait-il tombé dans un cercle vicieux l’obligeant à un rythme effréné ? Sans réfléchir, Lionel Guedj répond avec une pointe d’agacement : « Par rapport à mes revenus de l’époque, j’étais bien en dessous de mon seuil d’endettement. »

Les heures passent, et l’agacement devient agressivité à mesure que le soleil décline. Assailli de questions sur ses pratiques, Lionel Guedj perd son sang-froid, enlève son gilet noir à force de s’échauffer l’esprit, coupant même à plusieurs reprises la parole du président de la cour d’appel. « Taisez-vous une seconde », l’avertit même son avocat Julien Pinelli. Une attitude de l’ancien praticien qui ne manque pas d’interpeller Me Gilles Martha, l’avocat de la Sécurité sociale. « Je constate que vous avez toujours beaucoup d’énergie, et ça c’est très bon pour la suite. » Le procès est prévu pour durer jusqu’à la fin du mois de juin.