Arnaque au faux conseiller bancaire : Dix personnes jugées à Paris
TRANSACTION SUSPECTE Dominique Strauss-Kahn fait partie des victimes
Le numéro de téléphone est correct mais l’interlocuteur à l’autre bout du fil est un escroc. Dix hommes soupçonnés d’être impliqués dans des escroqueries au « allô » sont jugés à partir de jeudi 23 mars devant le tribunal correctionnel de Paris.
L’affaire commence avec un client d’American Express dont les enquêteurs ont sans doute vite reconnu le nom : Dominique Strauss-Kahn. En août 2021, l’ex-directeur du Fonds monétaire international (FMI) reçoit un appel de sa banque - le numéro qui s’affiche à l’écran correspond parfaitement. Au bout du fil, un conseiller le contacte au sujet d’une « transaction suspecte » : est-ce bien lui qui essaie d’effectuer un paiement de 8.950 euros dans une bijouterie Cartier de Madrid ? Dominique Strauss-Kahn confirme que non.
Des fichiers clients achetés sur le « darkweb »
Le faux conseiller bancaire a pris soin de vérifier son identité et des informations personnelles - la date de naissance de sa mère –, et mentionne ses dernières transactions. Puis il lui demande de valider un code qui vient de lui être envoyé afin, lui dit-il, de bloquer le paiement « frauduleux ». Sans le savoir, Dominique Strauss-Kahn valide en fait l’achat d’un bracelet. Deux jours plus tard, deux hommes récupèrent la commande dans la boutique madrilène. L’ex-ministre des Finances recevra ensuite un autre appel et validera malgré lui une transaction de 16.900 euros, toujours chez Cartier. Cette fois, il appelle le vrai service clients de sa banque et comprend la supercherie. American Express porte plainte.
L’arnaque au « allô » est une version parmi tant d’autres des escroqueries qui fleurissent sur Internet au fil des modes et des années. Les malfaiteurs achètent sur le « darkweb » des listes de fichiers clients, incluant notamment coordonnées téléphoniques et numéros de carte bancaire avec date de validité et cryptogramme.
Hôtels de luxe
Grâce à la technique du « spoofing », ils usurpent le numéro d’appel du service clients de la banque et se font passer pour des agents anti-fraude. Ils parlent bien, sont bien renseignés : les clients n’y voient que du feu. Les victimes valident ainsi des achats en ligne ou des transferts d’argent vers des comptes ouverts uniquement pour réceptionner les fonds, qui sont ensuite transférés ailleurs ou retirés en liquide dans des distributeurs.
Les images de vidéosurveillance du magasin Cartier madrilène, l’exploitation du numéro de téléphone utilisé pour la commande et des adresses IP derrière ce paiement, ou d’autres effectués avec les cartes d’autres clients d’American Express, permettent aux enquêteurs de remonter le fil de l’escroquerie. Quelques mois plus tard, dix hommes, la petite vingtaine et à l’implication diverse, sont interpellés. Ils menaient la grande vie, s’installant dans des hôtels chics de l’ouest parisien - 60.000 euros de facture dans l’un d’eux - pour passer leurs commandes de produits de luxe et profiter de la piscine. Ils multipliaient les voyages en Espagne, partaient « sur un coup de tête » à Marbella où la location est à « 10.000 euros », vantait l’un d’eux lors d’une conversation téléphonique écoutée.
2,6 millions d’euros de préjudice
Lors des perquisitions, les enquêteurs ont retrouvé des sacs de voyage Louis Vuitton - une grande partie du groupe en avait un, chacun sa couleur - des montres Rolex, des baskets Céline, des sweat-shirts Dior et énormément d’iPhone dernier cri. « Des cadeaux », jurent ces jeunes hommes au casier judiciaire en majorité plutôt vide.
Sur les quelque 600 victimes d’escroquerie à la carte bancaire identifiées dans ce dossier, une centaine seulement s’est constituée partie civile. Le préjudice total a été évalué par les banques à 2,6 millions d’euros. « Ces jeunes-là n’ont rien inventé, c’est une technique d’escroquerie qui existait avant et continue d’exister », insiste un avocat de la défense, Me Martin Vettes, qui « veillera » à ce que ce dossier n’aboutisse pas à « des peines pour l’exemple ». Le procès est prévu jusqu’au 14 avril.