Prison : « On n’est pas là que pour ouvrir des cellules »… Comment le rôle des surveillants évolue

reportage « 20 Minutes » s’est rendu au centre pénitentiaire d’Orléans-Saran, où est testé, depuis 2021, le dispositif des « surveillants acteurs », qui vise à lutter contre les violences en détention

Thibaut Chevillard
Des détenus du centre pénitentiaires d'Orléans-Saran discutent avec des surveillants
Des détenus du centre pénitentiaires d'Orléans-Saran discutent avec des surveillants — 20 Minutes
  • Laurent Ridel, le directeur de l’administration pénitentiaire, présente ce vendredi après-midi un grand plan de lutte contre les violences en milieu carcéral. L’une des mesures vise à généraliser le dispositif des « surveillants acteurs ».
  • Ce dernier consiste à demander aux surveillants de s’impliquer davantage auprès des détenus. L’objectif : créer un lien de confiance, déceler plus rapidement les problèmes, éviter les frustrations, éclairer les magistrats sur les comportements en détention. Ces nouvelles missions contribuent aussi à redonner du sens au métier de surveillant et à le rendre plus attractif.
  • 20 Minutes s’est rendu au centre pénitentiaire d’Orléans-Saran, dans le Loiret, où le dispositif est testé depuis 2021, pour demander l’avis de détenus et de membres du personnel.

De notre envoyé spécial à Orléans (Loiret),

Devant la cellule qu’il partage avec un autre détenu au troisième étage, Mohamed-Amine discute ce mercredi après-midi avec un surveillant. Le jeune homme, qui fêtera prochainement ses 25 ans, enchaîne les passages en prison depuis qu’il est majeur. Condamné lourdement dans une affaire de stupéfiants, il a été écroué, cette fois, au centre pénitentiaire d’Orléans-Saran, dans le Loiret. Un établissement où est testé, depuis 2021, le dispositif des « surveillants acteurs ». « Ça change tout », affirme Mohamed-Amine, longs cheveux bouclés et fine barbe. « Ça participe à une bonne détention : les surveillants sont là pour nous aider, pour les démarches, les papiers… Ils nous conseillent, nous convoquent quand ils remarquent qu’on n’est pas bien. Ils voient si on a un problème et prennent le temps de discuter avec nous. Ils sont à l’écoute », raconte-t-il.

Inaugurée en 2014 par la garde des Sceaux d’alors, Christiane Taubira, Orléans-Saran est une prison ultramoderne, d’une capacité théorique d’accueil de 768 places. Derrière les immenses murs gris qui l’entourent, les détenus, hommes et femmes, sont encadrés par 268 surveillants. Porte-clés accroché à la ceinture, ils passent leur journée à ouvrir et fermer les portes des cellules et les grilles qui se succèdent dans les couloirs, comme dans n’importe quel autre établissement pénitentiaire. A la différence, ici, que tous ont été formés à ce dispositif appelé « surveillants acteurs ».

Désormais, ils sont chargés de suivre attentivement les détenus « de l’entrée à la sortie », d’observer leur comportement, « d’évaluer leurs besoins », leur implication dans un projet de réinsertion, de mener des entretiens écrits avec eux, de faire remonter des informations, explique Claude Longombé, le directeur du centre pénitentiaire.

« Renforcer davantage la sécurité »

Ils participent également aux commissions de l’application des peines, présidées par un magistrat. Ce juge doit tenir compte des observations des surveillants pour se prononcer sur les demandes de libération. « Avant, certains détenus qui provoquaient le personnel sortaient avec des aménagements de peine. On se disait que ce n’était pas normal. Mais comme ils étaient toujours à la limite, il n’y avait pas de compte rendu d’incident dans leur dossier. Ce qui a changé, c’est qu’il y a des informations qui n’échappent plus aux juges », signale Grégory, un surveillant qui travaille à Orléans-Saran depuis neuf ans. Sachant cela, les détenus se tiennent plus à carreau avec eux. « Mais ça marche dans les deux sens, insiste-t-il. On peut souligner les efforts réalisés par un détenu et permettre au magistrat de changer son appréciation. On n’est pas là que pour les sanctionner. »

L’objectif des « surveillants acteurs » est double. Il vise en premier lieu à lutter contre les violences en détention. « On a dénombré l’année dernière 11.000 actes de violences physiques entre détenus, et 5.000 agressions de nos personnels. Il y a une violence qui est importée derrière les murs : les deux tiers des détenus le sont pour des faits de violence commis à l’extérieur. C’est une réalité, mais ça ne doit pas être une fatalité », reconnaît Laurent Ridel, le directeur de l’administration pénitentiaire.



Cette nouvelle façon de travailler des surveillants a pour but de « renforcer davantage la sécurité », estime Laura Robin, directrice des services pénitentiaires à Orléans-Saran. « Les surveillants sont sur la coursive, remarquent les modifications de comportement et sont capables d’évaluer ces changements. Ils peuvent ainsi prévenir les violences, désamorcer des situations de frustration, orienter le détenu vers des dispositifs de gestion de la colère, de gestion des émotions. »

« On a l’impression d’être plus importantes »

Dans le quartier des femmes, cette nouvelle approche du métier a permis « d’apaiser beaucoup de choses », observe Laurianne, surveillante depuis douze ans. « Il n’y avait pas beaucoup d’agressions ici. Mais nous sommes plus présentes pour elles et elles le ressentent aussi. Il y a moins d’incidents, les détenues ont un meilleur comportement avec nous et entre elles. Lors des entretiens, elles peuvent se confier, nous dire des choses qu’elles ne nous disent pas sur la coursive. Demain, si elles ont un problème, elles viendront nous voir plus facilement », souligne-t-elle.

« Le fait d’avoir un surveillant référent les rassure », complète sa collègue Marie. « C’est aussi une forme de reconnaissance de notre travail, salue-t-elle. C’est un plus pour nous. On n’est pas là que pour ouvrir des cellules, on est là aussi pour les écouter. On a l’impression d’être plus importantes. » Gréogy complète : « c’est un autre type de travail, plus intéressant ». Pour Laurent Ridel, l’objectif de ce dispositif est effectivement de donner « du sens au travail du personnel ». « Quand un agent sait pourquoi il travaille, il prend du plaisir et est plus performant. »

Une crise des recrutements 

La généralisation des « surveillants acteurs » aux autres établissements s’inscrit dans un grand plan de lutte contre la violence en milieu carcéral, présenté ce vendredi après-midi, et qui comprend une centaine de mesures.

L’ajout de ces nouvelles missions justifie l’évolution « historique » du statut de tous les agents pénitentiaires, annoncée fin février par le garde des Sceaux, Eric Dupont-Moretti. En faisant passer le corps des surveillants en catégorie B de la fonction publique, le ministre souhaite améliorer « l’attractivité » des métiers de la pénitentiaire, qui fait face depuis plusieurs années à une crise du recrutement, et à « susciter des vocations » alors que des milliers d’emplois sont à pourvoir.

« Ça ne va pas résoudre tous les problèmes »

A Orléans-Saran, le directeur du centre pénitentiaire, Claude Longombé, estime que la mise en place des « surveillants acteurs » est une véritable « révolution institutionnelle », voulue par les surveillants eux-mêmes après un mouvement de grève en 2018. « Il fallait repenser la compétence des agents. » Il constate que les résultats sont « frappants », à condition que « les surveillants acceptent de travailler autrement en interagissant avec la personne détenue ». « Comme toute nouveauté, dit-il, il faut que les gens intègrent ces nouvelles valeurs. »

Grégory confie que nombre de ses collègues surveillants craignaient, avant la mise en place de ce dispositif, de devoir travailler davantage sans voir pour autant leur paie évoluer. « C’est beaucoup d’investissement. Mais je le prends comme une expérience qui me servira pour évoluer. Ça enrichit mon champ de compétences. »

« Je ne dirais pas que c’est une révolution, mais c’est en tout cas une bonne avancée », nuance Laurianne. En suivant au plus près les détenus, les surveillants contribuent à préparer leur réinsertion en les accompagnant dans leurs démarches et en les conseillant. « Mais ça ne va pas résoudre tous les problèmes de la pénitentiaire », à commencer par la surpopulation carcérale. A la maison d’arrêt pour femmes, qui comprend 30 places, 44 personnes étaient hébergées au 1er janvier dernier, soit une densité carcérale de 147 %, selon les chiffres de l’OIP (Observatoire international des prisons). « Pour vider les prisons, il faudrait réussir à les transformer en petits anges avant leur sortie pour qu’ils ne reviennent plus, plaisante la surveillante. Si on arrive à faire ça sur du long terme, on pourra dire que c’est une révolution. Mais on n’en est pas encore là. »