Lyon : « Chronique d’une injustice annoncée »… Tout comprendre à l’affaire Vincenzo Vecchi
AUDIENCE Ce vendredi, la cour d’appel de Lyon doit se saisir du sort de Vincenzo Vecchi, condamné à 12 ans de prison pour avoir manifesté contre le sommet du G8 à Gênes en 2001, et dont l’Italie réclame l’extradition
- Troisième audience en quatre ans. Ce vendredi, la cour d’appel de Lyon va se pencher sur l’épineux dossier de Vincenzo Vecchi. Militant italien, il a été condamné en 2012 à douze ans de prison pour avoir participé aux manifestations contre le G8 de Gênes, avant de se réfugier en Bretagne, où il vit désormais.
- Son comité de défense dénonce « une mécanique judiciaire mortifère ». La raison : l’homme a été inculpé pour « dévastation et pillage », une subtilité du Code pénal italien instaurée sous le régime fasciste qui permet de condamner à de lourdes peines toute personne participant à un trouble à l’ordre public.
- Si les cours d’appel de Rennes et Angers ont, par deux fois, refusé d’extrader le militant vers l’Italie, estimant que sa peine était « disproportionnée » par rapport aux faits reprochés et « contraire aux principes du droit européen », les procureurs généraux des deux tribunaux se sont, à chaque fois, pourvus en cassation.
Vincenzo Vecchi sera-t-il extradé vers l’Italie ? Ou pourra-t-il rester en Bretagne, où il réside dans la clandestinité depuis quelques années ? Ce vendredi, la cour d’appel de Lyon sera saisie de son sort. L’homme, militant d’extrême gauche, a été condamné à 12 ans de prison pour « violences » (contestées) lors des manifestations contre le sommet du G8 à Gênes en 2001, et au cours desquelles un jeune homme avait été abattu d’une balle dans la tête par un carabinier. Mais l’affaire est sensible. Et l’homme bénéficie d’un important comité de soutien appelant la justice française à « résister ». Le point pour comprendre de cet épineux dossier.
Qui est Vincenzo Vecchi ?
Né en 1973 à Calcinate dans la région de la Lombardie, l’Italien a commencé à militer dans les années 90 dans des groupes altermondialistes et écologistes. Il fait partie des « 10 de Gênes », dix manifestants condamnés à des « peines aberrantes » pour s’être opposés à la tenue du G8. Depuis 2012, il s’est réfugié en France, près de Rochefort-en-Terre, où il vit avec sa compagne et travaille pour une coopérative de construction de maisons à ossature bois et paille. « Breton d’adoption », il « est parfaitement inséré et très engagé dans le milieu associatif », souligne à son sujet Pascale Jaouen, ancienne avocate et membre active du comité de soutien.
Quels faits lui sont reprochés ?
Selon la défense de l’intéressée, les preuves glanées par les enquêteurs italiens seraient bien minces. Lesquelles ? Avoir pris « quelques planches pour échafauder une barricade » alors que les carabiniers chargeaient. L’intéressé a été photographié par la police près d’une banque. De là à penser qu’il allait saccager l’établissement ou s’en prendre aux forces de l’ordre ? Pour la justice italienne, il n’y avait aucun doute. Sauf que le militant « n’a blessé, ni agressé personne », atteste Pascal Jaouen, rappelant qu’il n’y a dans le dossier « pas d’autres témoignages et pas d’autres preuves matérielles ». « Il a été arrêté sur la base unique de ces photos mises bout à bout », poursuit-elle dénonçant une « mécanique judiciaire mortifère ». « Le problème de fond est qu’on ne le voit pas actif. La seule chose qu’on peut lui reprocher est d’avoir pris ces deux planches sur un chantier », appuie Jean-Baptiste Ferraglio, membre du comité de soutien, accusant la justice italienne d’avoir « plié l’affaire » pour « en faire un exemple ».
Sur quels motifs a-t-il été condamné ?
Vincenzo Vecchi a été condamné en 2012 - soit onze ans après les faits pour lesquels il était poursuivi - à douze de prison. Peine ramenée ensuite à dix ans de réclusion. Il a été inculpé pour « dévastation et pillage ». Cette subtilité du Code pénal italien, le « code Rocco », introduite en 1930 sous le régime mussolinien, a été réveillée après les émeutes du sommet de Milan (2006) pour « justifier les répressions abusives ». « Elle stipule que l’on peut poursuivre pénalement une personne qui n’a pas commis d’acte matériel mais qui était présente sur les lieux », résume Patrick Cabin, porte-parole de la ligue des droits de l’homme. Véritable arme politique, cette législation permet de réprimer de huit à quinze de réclusion quiconque participe à un trouble majeur à l’ordre public par une simple « adhésion morale ». « On ne peut être que scandalisé car cela est contraire à tous les principes fondamentaux de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen », appuie-t-il.
« Cette situation est totalement absurde », s’insurge l’ancienne procureure Eva Joly, prenant exemple sur les manifestations des Gilets jaunes en France. « Lors du saccage de l’Arc de Triomphe, la peine la plus sévère qui a été prononcée était huit mois de prison avec sursis. Voilà qui aurait été plus approprié, estime-t-elle. Dans ce dossier, nous avons une condamnation de douze ans, peine habituellement prononcée dans des cours d’assises pour des meurtres. » « Il y a une fabrique de l’injustice », plaide à son tour Pascale Jouaen tandis que Patrick Canin évoque un « acharnement judiciaire » doublé d’un « acharnement politique ».
Pourquoi le comité de soutien parle d’un « acharnement judiciaire » ?
Réfugié en France depuis 2012, Vincenzo Vecchi, qui fait l’objet de deux mandats d’arrêts internationaux, a été interpellé en 2019 pour être incarcéré durant trois mois à la prison de Rennes. Depuis, il a été présenté deux fois devant les tribunaux.
En novembre, 2019, la cour d’appel de Rennes ordonne sa remise en liberté, estimant que l’un des deux mandats d’arrêt est éteint. Mais le parquet général se pourvoit en cassation. L’affaire est alors renvoyée devant la cour d’appel d’Angers, un an plus tard. Là encore, les magistrats refusent d’extrader le militant. Leurs motivations sont précises : le délit de « dévastation et pillage » n’a pas d’équivalent dans le droit français et la peine encourue est « disproportionnée » par rapport aux infractions reprochées. Ils ajoutent que cette disproportion est « contraire aux principes du droit européen ». Sauf que le procureur général se pourvoit une nouvelle fois en cassation.
En janvier 2021, la cour de cassation se tourne alors vers la Cour de justice de l’Union européenne pour connaître son interprétation des textes européens sur cette double incrimination. La réponse ? Les différences observées dans les infractions pénales des pays européens ne sont pas une raison suffisante pour s’opposer à une extradition. Retour à la case départ.
A la veille de cette troisième audience, Eva Joly appelle à « résister » « La cour doit dire que Vincenzo Vecchi ne doit pas être livré, car nous ne connaissons pas cette infraction », poursuit-elle tout en fustigeant les « deux procureurs généraux » de Rennes et Angers « qui ont manqué de bon sens ». « Il y avait une façon élégante de s’en tirer, ne pas faire appel, et c’était réglé », estime-t-elle.
« La troisième fois est celle qui doit mettre fin à ces errements judiciaires », soutient Catherine Glon, avocate de Vincenzo Vecchi, persuadée d' « avoir des arguments solides ». « Ce n’est pas faire injure à procureur de dire qu’il est acteur dépendant. S’il décide de se pourvoir en cassation une nouvelle fois, ça sera alors une décision politique », déplore-t-elle. Et de prévenir : « Il est impossible en France de condamner quelqu’un simplement parce qu’il manifeste. Mais si c’est le cas, il n’y aura plus aucune limite ».
Le jugement qui sera mis en délibéré devrait être connu dans plusieurs semaines.