Viol : « Il me disait que j’étais la femme de sa vie, j’avais 14 ans et demi » Une basketteuse accuse son ancien coach
INFO « 20 Minutes » Une information judiciaire pour « viol sur mineur » est actuellement ouverte contre un ancien entraîneur de basket du pôle espoir de Caen. Ce dernier a été mis en examen en novembre 2022
- Valérie L. a porté plainte en 2020 contre son ancien entraîneur de basket, l’accusant d’avoir profité de son jeune âge pour obtenir des relations sexuelles.
- L’homme de 46 ans a été mis en examen en novembre 2022 pour « viol sur mineur de 15 ans par une personne abusant de l’autorité que sa fonction lui confère ».
- Une enquête administrative a été ouverte, mais impossible de se faire préciser si des mesures ont été prises et lesquelles.
Valérie L. a complètement arrêté de jouer au basket. Elle ne regarde même plus les matchs à la télé. Ce sport, ça a pourtant été toute sa vie ou presque pendant des années, au point de devenir joueuse professionnelle pendant six saisons, puis semi-professionnelle pour cinq de plus. Mais impossible aujourd’hui de retoucher un ballon. Littéralement. « J’ai commencé à avoir de l’eczéma sur les mains avant chaque entraînement. J’étais très angoissée alors que je ne pratiquais plus au niveau professionnel. Je crois que je vivais très mal d’être au contact d’un monde qui ne m’avait pas protégée quand j’étais enfant », confie la jeune femme, aujourd’hui âgée de 35 ans.
Il y a trois ans, elle a porté plainte pour « atteinte sexuelle » contre un ancien entraîneur du pôle espoir de Caen, l’accusant d’avoir profité de son jeune âge – elle n’avait alors pas tout à fait 15 ans – pour avoir des relations sexuelles avec elle. Le parquet de Caen, en charge du dossier, a finalement requalifié les faits et l’homme de 46 ans a été mis en examen en novembre 2022 pour « viol sur mineur de 15 ans par une personne abusant de l’autorité que sa fonction lui confère ». Il a été laissé libre sous contrôle judiciaire.
« Il insistait bien pour que je n’en parle à personne »
Retour en septembre 2002. Valérie, grande tige d’1,80 m, est en 3e et vient d’intégrer le « Pôle espoir basket » de Basse-Normandie, situé à Caen, où elle réside. C’est là que jouent les meilleurs jeunes de la région. Entraînement quasiment tous les midis, deux fois par semaine le soir, match le week-end. Cette année-là, un nouvel entraîneur a rejoint le staff : il a 26 ans, est joueur professionnel dans le club de la ville et entraîne les garçons. Mais certaines filles, celles ayant le plus de potentiel, jouent de temps en temps avec eux pour « élever leur niveau de jeu ». Valérie en fait partie. « On l’admirait parce que c’était un joueur professionnel, on rêvait tous de le devenir, mais rien de plus », insiste-t-elle. En octobre ou novembre – elle ne se souvient plus très bien –, il propose aux joueurs des places pour venir le voir jouer. Très timide, voire « renfermée », l’adolescente passe son tour. « Quelques jours plus tard, il m’a appelée pour me reproposer de venir au match », assure-t-elle. Cette fois, elle accepte.
Selon son récit, le « coach », comme elle l’appelle, commence alors à l’inonder de messages. Il lui téléphone tous les soirs, la nuit même, lui donne rendez-vous sur le fixe de chez sa mère, les forfaits illimités n’existant pas encore. « Il disait qu’il était amoureux, que j’étais la femme de sa vie. J’avais 14 ans et demi. Il insistait bien pour que je n’en parle à personne. Il me disait que, si j’en parlais, il aurait des soucis », précise-t-elle aux enquêteurs. Elle, qui jure qu’elle n’avait jamais eu de petit copain jusqu’alors, y voit d’abord une marque d’attention et de valorisation. Ses parents ont divorcé, sa mère s’occupe de ses trois enfants et de deux cousins qui vivent chez eux. Valérie est celle « qui ne pose pas de problème » et dont on ne surveille finalement pas vraiment les faits et gestes.
Elle affirme qu’il l’a embrassée pour la première fois en décembre. Leur première relation sexuelle aura lieu, selon son témoignage, un mois plus tard, chez lui, sur une table. « Ça se passe, je ne me débats pas, je ne hurle pas, mais c’est lui qui décide, qui choisit pour moi. J’étais comme lobotomisée, il avait le double de mon âge », précise-t-elle. Et son avocate, Me Anne-Claire Lejeune, d’insister : « Il y a dans cette affaire, une double vulnérabilité. Celle liée à son jeune âge évidemment, mais aussi du fait que cet homme est l’un de ses entraîneurs. Dans le milieu sportif, la parole du coach est rarement questionnée, on ne la remet pas en cause. »
Des rumeurs de plus en plus pressantes
Valérie décrit une emprise de plus en plus forte : il la coupe de la majorité de ses amis, lui téléphone à toutes les récréations pour l’empêcher de parler à ses camarades, lui interdit d’aller à la piscine et même à la fête foraine avec son père. Interrogées par les enquêteurs, d’anciennes camarades se souviennent de cette période. « Au fur et à mesure, on s’est aperçus que la situation devenait de plus en plus louche, les contacts étaient de plus en plus réguliers et c’était étrange », raconte l’une d’elles en évoquant ces interminables conversations téléphoniques. Mais lorsque ses amies la questionnent, Valérie nie tout. « Il m’avait interdit d’en parler, me disant qu’il irait en prison si ça se savait. »
Autour d’eux, les rumeurs se font de plus en plus pressantes. Y compris au sein du staff. « Ce que j’ai appris, c’est qu’il y avait un couple entre [cet entraîneur] et une très jeune fille du basket […], je ne la connaissais pas du tout, mais la rumeur était bien réelle, tout le monde était au courant », assure aux enquêteurs un ancien cadre du club. Au début de l’année 2003, une réunion informelle est même organisée dans les vestiaires avec des membres de la direction et quelques joueuses, dont Valérie. Ces dernières se souviennent s'être fait passer un savon ce jour-là, accusées de colporter des « rumeurs » qui pourraient être préjudiciables au coach. Aucune n'osera contredire la direction de peur de voir leur carrière naissante stoppée net.
« Je n’ai aucune issue »
Interrogé par le magistrat instructeur, l’entraîneur non plus n’a pas oublié cette réunion. « J’ai dû intervenir quand j’ai entendu des chuchotements. Ça évoquait des regards ou des rapprochements avec Valérie et j’ai dit stop tout de suite. » Depuis le début de la procédure, le mis en cause jure n’avoir jamais eu de relation autre que professionnelle avec la jeune fille et dénonce « une chasse à l’homme ». « On veut me détruire et je ne sais pas qui ni pourquoi », déplore-t-il lors d’une audition. Mais comment expliquer ces témoignages qui convergent ? Quid également de cet entretien téléphonique rapporté par la mère de Valérie. Elle certifie être tombée sur l’entraîneur alors qu’elle cherchait à identifier l’origine du numéro qui apparaissait presque tous les soirs sur la facture détaillée du téléphone. Lui, affirme qu'ils ne se sont parlé que pour évoquer les performances sportives de sa fille. Contacté, son avocat n’a pas donné suite. Selon nos informations, une confrontation doit être organisée en avril.
Après cette réunion dans les vestiaires, Valérie assure s’être sentie encore plus isolée. Jamais ses parents n’ont été mis au courant de cette « mise au point ». Jamais, non plus, elle n’a été interrogée par la direction du club sur ces rumeurs. « Ça m’a donné l’impression que personne ne pouvait rien faire pour moi. » Elle jure néanmoins avoir tenté de se séparer de lui, quelques semaines après cet épisode, avant de renoncer, car il l’aurait menacée de se suicider. « A partir de ce moment-là, je me dis que c’est comme ça. Je pleure beaucoup, mais je me dis que je n’ai aucune issue », confie-t-elle. Selon ses dires, il lui réclame toujours plus de relations sexuelles, parfois même dans des lieux publics. Leur « relation » durera, selon son témoignage, jusqu’en mai 2004. Elle est alors en seconde, au centre de formation. Il n’est plus son coach mais lui rend visite régulièrement et poursuit ses coups de téléphone incessants.
Un piège rocambolesque
« Tout s’est arrêté très brutalement », se souvient Valérie. Un soir après l’entraînement, une joueuse professionnelle, tout juste majeure, vient la voir et lui dit qu’elle « sait tout ». Comme à son habitude, l’adolescente nie. Mais son interlocutrice insiste, lui explique que non seulement il a une femme, mais qu’il entretient également une relation avec elle. Pour lui prouver ses dires, elle lui montre des textos puis échafaude un plan rocambolesque : la basketteuse invite Valérie chez elle, lui intime de se cacher dans le placard et fait venir l’entraîneur pour lui faire avouer.
Le piège, selon leur témoignage à toutes les deux, fonctionne. « Quand je suis sortie et qu’il m’a aperçue, il était fou de rage, il hurlait », assure Valérie. Il cherche à reprendre contact, mais cette fois, elle coupe net. Le lendemain, l’histoire a déjà fait le tour du club. Valérie se souvient encore de ses entraîneurs la chambrant au sujet « du placard ». « La preuve que tout le monde savait... »
Enquête administrative
En parallèle de l’enquête judiciaire, une procédure administrative a été menée par une antenne du ministère de l’Éducation et des Sports. L’entraîneur a été auditionné à l’été 2021, Valérie, trois mois plus tard. Depuis, silence radio. Lors de sa dernière audition, le mis en cause affirme n'avoir jamais eu de nouvelles de cette enquête. Valérie non plus. Contacté, le service en question confirme seulement avoir ouvert une procédure après un signalement. « La procédure administrative a ensuite été transférée aux services compétents », indique-t-on laconiquement. Impossible, en revanche, de se faire préciser de quels services il s’agit, ni si des mesures ont été prises et lesquelles.
Le mis en cause poursuit aujourd’hui sa carrière d’entraîneur en Nationale 1. Contacté par 20 Minutes, le président du club garantit ne jamais avoir entendu parler d’une enquête à son sujet. « Au début de la saison, on a reçu une lettre anonyme le visant mais ça ne parlait que de ses méthodes d’entraînement, ça disait qu’il était trop dur », assure-t-il, jurant n’avoir jamais eu de remontée négative à son sujet. Du côté de la Fédération française de basket, on reconnaît être au courant de cette affaire après un signalement du tribunal judiciaire de Caen. « Une enquête a été menée et des mesures conservatoires ont été prises en attendant une éventuelle décision judiciaire : il ne peut plus, jusqu’à nouvel ordre, entraîner des mineurs », indique-t-on. En revanche, on estime qu’il est « tout à fait possible » que son club ignore ces mesures – « prises très récemment » – puisqu’il ne s’occupe désormais que de majeurs.
« Ma cliente attend maintenant d’être reconnue comme victime pour avancer », insiste Me Anne-Claire Lejeune. Près de vingt ans après les faits, la jeune femme se dit profondément marquée. Devenue professeure d’EPS, elle est en arrêt maladie depuis près de deux ans et espère pouvoir reprendre en mi-temps thérapeutique à la rentrée. « J’ai mis très longtemps à réaliser ce qui m’était arrivé, analyse-t-elle. Mes relations avec les hommes étaient chaotiques, mais je ne faisais pas le rapport avec cette affaire. » Jusqu’en 2019. Elle vit alors à New York, est enceinte de son premier enfant. Et raconte un « peu par hasard » cette histoire au psychologue qu’elle consulte pour des angoisses. Dès lors, la mécanique s’enclenche : elle contacte des associations spécialisées et décide de porter son affaire en justice.