« Un grand respect pour la femme »... Jugé pour viol aggravé, le chanteur marocain Saad Lamjarred tente de se défendre
compte rendu L’artiste de 37 ans est accusé d’avoir violé et frappé une jeune femme dans une chambre d’hôtel en 2016, en marge d’un concert prévu à Paris
- Le procès du chanteur marocain Saad Lamjarred, accusé d’avoir violé et frappé une jeune femme dans une chambre d’hôtel en 2016, en marge d’un concert prévu à Paris, s’est ouvert ce lundi matin.
- La pop star de 37 ans, adulée au Maroc et célèbre dans tout le monde arabe, comparaît devant la cour d’assises pendant cinq jours. Il encourt vingt ans de prison.
- L’artiste est mis en cause dans d’autres affaires, par des femmes qui évoquent des faits s’étant déroulés dans des circonstances similaires.
A la cour d’assises,
Costume noir et chemise blanche, l’accusé s’avance vers la barre et décline son identité et sa profession. « Artiste, Madame », répond-il ce lundi matin. La présidente de la cour d’assises de Paris, Frédérique Aline, enchaîne avec des questions sur sa carrière de chanteur. « Personne ne connaît votre vie », explique la magistrate à cet homme de 37 ans, fine barbe, les cheveux bien peignés. Saad Lamjarred est pourtant une pop star adulée dans son pays, le Maroc, et célèbre dans tout le monde arabe. Ses morceaux battent des records d’audience sur YouTube. Sa chanson Lmaallem, sortie en 2015, a même dépassé le milliard de vues sur la plateforme. Il raconte alors comment il a rencontré le succès après sa participation, en 2007, à un télécrochet au Liban, puis évoque son besoin de « transmettre des messages importants », assure avoir « un grand respect pour la femme ».
Saad Lamjarred ajoute que, depuis qu’il est accusé de viol par une jeune femme de 27 ans, il vit « une grosse dépression ». Assise sur un banc de l’autre côté de la petite salle, la partie civile, Laura P., a du mal à contenir son émotion en l’écoutant. Les yeux bleus rougis par l’émotion, la jeune femme aux longs cheveux châtains serre la main de sa mère lorsque la présidente rappelle les faits qui se sont déroulés le 26 octobre 2016.
De l’argent contre son silence
Ce mercredi-là, elle sort avec des amis au Matignon, une boîte de nuit située à deux pas des Champs-Elysées. Âgée de 20 ans à l’époque, elle fait connaissance avec le chanteur, lequel doit se produire au palais des Congrès. Après avoir sympathisé, il la convie à un « after » organisée dans une chambre d’hôtel occupée par un couple d’amis à lui, à l’Intercontinental. L’occasion, pour Saad Lamjarred, de continuer de boire et de consommer de la cocaïne.
Il lui propose enfin de terminer la nuit dans sa chambre, à l’hôtel Marriott. Elle accepte et l’accompagne. Sur place, ils boivent du champagne, dansent et s’embrassent. C’est à ce moment précis que leurs versions divergent. Selon Laura P., l’artiste se montre plus entreprenant. Elle lui demande de s’arrêter, mais il ne l’écoute pas. Il la saisit par les cheveux, s’allonge sur elle, déboutonne son pantalon et lui lèche le corps. Comme la jeune femme se débat, il lui assène un coup de poing au visage. Toujours selon son témoignage, Saad Lamjarred la pénètre brièvement avec son sexe tandis qu’elle tente de le repousser en le mordant et en le griffant. Elle parvient à lui échapper et à se réfugier dans la salle de bain. Elle le menace de déposer plainte. Il lui propose 150 euros et un bracelet en échange de son silence. Elle refuse.
« Pas de preuve »
Selon le récit de Laura P., après avoir demandé de la glace au service d’étage pour l’appliquer sur le visage enflé de la jeune femme, Saad Lamjarred la renverse sur le lit et l’agresse de nouveau. Elle réussit à s’enfuir en hurlant dans le couloir de l’hôtel, puis est recueillie par des employés de l’établissement qui la décrivent « en pleurs », « terrorisée ». Le tee-shirt déchiré, elle leur raconte avoir été battue, séquestrée et violée par l’occupant de la chambre 714. Ce dernier la poursuit et semble, toujours selon eux, « très énervé et menaçant », « un peu ivre ». Il les supplie de ne pas appeler la police, ajoutant qu’il allait s’excuser auprès de Laura P.. Puis, avec un air arrogant et un petit sourire, il leur lance « no proof » ( « pas de preuve »).
De son côté, le chanteur, suivi par 14 millions d’abonnés sur Instagram, soutient qu’il n’a fait que se défendre en lui attrapant le visage et en la poussant, par « réflexe ». Aux enquêteurs, il raconte que la jeune femme l’a subitement attaqué alors qu’ils s’embrassaient, sans aucune raison. Il leur affirme ne pas avoir eu de relation intime avec elle ( « no penetration, no sex ») et se dit incapable de frapper une femme. Il ne l’aurait poursuivie dans le couloir que pour éviter le « scandale », car il était connu.
Loin de convaincre le juge d’instruction avec ses explications, Saad Lamjarred est mis en examen et incarcéré dans la foulée. Il a été libéré sous bracelet électronique en 2017, avant d’être de nouveau brièvement placé en détention en 2018 après avoir été mis en examen pour le viol d’une autre jeune femme à Saint-Tropez, dans le Var.
Impliqué dans d’autres affaires
Car ce n’est pas la première fois que le chanteur a des déboires avec la justice en raison de son comportement avec les femmes. Au cours de l’instruction, il a été mis en examen pour une autre affaire, jointe au dossier. Il était accusé d’avoir violé et frappé une jeune Franco-Marocaine à Casablanca, en 2015, dans des circonstances similaires. La plaignante s’est ensuite mise en retrait de la procédure en évoquant de lourdes pressions familiales, et le juge a ordonné un non-lieu pour ce volet. L’artiste a aussi été mis en cause pour viol aux Etats-Unis en 2010, également dans des circonstances proches. Les poursuites ont finalement été abandonnées après une transaction avec la victime, dont le montant n’a pas été dévoilé.
L’expert qui a réalisé l’examen psychiatrique de la star pendant l’enquête décrit un homme au comportement « immature » et qualifie sa sexualité de « débordante ». Il pointe son « ego surdimensionné qui limite sa tolérance aux frustrations », son « manque de limite », et souligne ses difficultés « à se remettre en question ». Son procès est prévu jusqu’à vendredi. Saad Lamjarred encourt vingt ans de prison.