Incendie meurtrier à Paris en 2019 : « Je ne m’attendais pas à la catastrophe qui allait suivre », assure l’accusée
COMPTE RENDU Cette femme de 44 ans, atteinte de troubles psychiatriques, a expliqué qu’elle se sentait dans un « état d’hystérie », « de psychose », lorsqu’elle a mis le feu à la porte de son voisin
- Dans la nuit du 4 au 5 février 2019, un incendie se déclare au deuxième étage d’un immeuble de la rue Erlanger, dans le 16e arrondissement de Paris. Dix personnes sont tuées, 47 autres blessées.
- Essia Boularès, une femme de 44 ans souffrant d’addictions et de troubles psychiatriques, est jugée depuis le 6 février 2023. Elle a reconnu avoir déclenché le sinistre après s’être disputée avec un voisin. Son état mental est l’un des enjeux du procès, alors qu’elle était sortie d’hospitalisation psychiatrique quelques jours avant les faits.
- Ce vendredi, l’accusée a expliqué qu’elle n’était pas dans son « état normal » lorsqu’elle a commis ce geste « pas réfléchi ».
A la cour d’assises,
« Vous n’aviez pas conscience des conséquences qu’il allait y avoir ? ». Le président de la cour d’assises, Franck Zientara, repose la question à l’accusée qu’il interroge sur les faits depuis le début de matinée. De longs cheveux bruns, haut vert, les mains dans le dos, Essia Boulares répond d’une voix sans ton depuis son box. « Tout à fait, je pensais que quelqu’un allait éteindre le feu, je ne m’attendais pas à la catastrophe qui allait suivre. » Dix personnes sont décédées et des dizaines d’autres blessées dans l’incendie de l’immeuble de la rue Erlanger, dans le 16e arrondissement de Paris, qu’elle a provoqué dans la nuit du 4 au 5 février 2019. « Qui ça ? », reprend le magistrat. « Je ne sais pas, un voisin, des pompiers », souffle cette femme de 44 ans qui assure ne pas avoir l’âme d’une « meurtrière ».
Le président Zientara ne cache pas son scepticisme. « Quand on met le feu dans un immeuble, il va y avoir des morts, n’est-ce pas ? » « Pas dans un immeuble bien conçu », réagit Essia Boulares. Atteinte de troubles psychiatriques, elle avait emménagé dans son appartement en 2016.
« Il n’y avait aucune intimité, on entendait tout »
Sa vie, à l’époque, était « très chaotique ». « Je restais chez moi, je consommais beaucoup de cannabis, de l’alcool, des médicaments… Je me mettais dans des états seconds. » Quelques jours avant le drame, elle était sortie de l’hôpital psychiatrique Sainte-Anne, où elle était restée douze jours à la suite d’un « délire mystique ». Elle y a fait 13 séjours entre 2009 et 2019.
Essia Boulares ne s’est jamais sentie bien dans cet immeuble d’apparence cossu. A l’intérieur, elle ressentait « un sentiment d’inconfort » et avait du mal à vivre seule. Pas d’ami, à l’exception d’une voisine qui partageait ses « croyances ésotériques ». « Il n’y avait aucune intimité, on entendait tout, décrit-elle. Les murs sont en carton. Or je déteste le bruit. » L’accusée dit avoir été particulièrement « dérangée » par les ébats sexuels bruyants d’un couple de voisins. « C’était des hurlements, des cris… C’était très déplacé. Entendre ces bruits, je trouvais ça dégueulasse. »
Dans ce couple, il y a Quentin L., un pompier dont la tête ne lui « revenait pas » et qu’elle sentait « très agressif ». Cette animosité envers lui peut-elle s’expliquer par sa profession ? « J’ai eu beaucoup affaire aux pompiers au cours de mon existence. Ils m’ont souvent amenée de force à l’hôpital psychiatrique, ce n’est pas un corps de métier que j’apprécie », reconnaît-elle.
« J’étais en grande paranoïa »
Lorsqu’elle entendait ces bruits, elle écoutait « de la musique forte » et tentait « d’en faire abstraction ». Le soir des faits, c’est pourtant son voisin, Quentin L., qui vient chez elle se plaindre du bruit. Mais Essia Boulares n’est pas dans son « état normal ». Elle se sent « en grande détresse ». Elle a consommé un peu de cannabis et bu de l’alcool. La veille, elle avait pris de la cocaïne.
« Je me prenais pour le Messie, j’étais en grande paranoïa, j’invoquais Dieu, les anges, le Saint-Esprit ». Comme elle refuse d’ouvrir la porte, le pompier l’a « défoncée ». Une patrouille de police arrive enfin sur les lieux. L’accusée affirme les avoir pris pour des « brigands », ne pas avoir vu leur brassard orange. « Les fonctionnaires constatent que la porte n’était pas défoncée », remarque le président de la cour. « C’est là que j’ai eu ce sentiment d’humiliation », souligne-t-elle.
Sur le moment, elle pense à un « complot » impliquant son voisin et ces trois hommes qu’elle prend pour des « voyous » avec leurs têtes « d’islamistes » et tente de rester « calme ». Après leur départ, elle devient « hors de contrôle », se sent dans un « état d’hystérie », « de psychose », « de persécution ». Elle ressent « une colère hors norme ». « C’était de la rage. »
« J’ai mis un coup de briquet et je suis partie »
Essia Boulares en veut particulièrement à Quentin L. qui l’a fait passer pour « une couillonne » devant eux. Alors elle met le feu à sa porte, « par connerie ». « J’ai mis un coup de briquet et je suis partie, reconnaît-elle. Mais ce n’était pas dans l’optique de tuer des gens, que les choses soient bien claires. » L’accusée le répète, elle n’a pas réfléchi aux conséquences de son acte. « Mon intention n’était absolument pas de commettre un incendie criminel. Je ne me suis même pas retournée pour voir si ça avait pris. »
Après son arrestation, Essia Boulares nie avoir commis les faits durant plusieurs mois. « J’ai été dans le déni pendant un certain temps, par protection, sinon je m’écroulais et je mettais fin à mes jours », confie-t-elle. Il est alors impossible, pour elle, d’admettre qu’elle est « à l’origine de ce drame ».
Elle finit par prendre conscience de ce qui s’est passé lorsqu’elle est amenée chez elle, pour la perquisition de son domicile. « Je sais que j’ai commis une erreur, je sais que c’est moi qui ai mis le feu », murmure-t-elle. « Ce n’est pas une erreur, c’est un crime », reprend l’avocat général. « Oui mais je ne l’ai pas voulu, réplique l’accusée. Même si j’ai prononcé des choses verbalement, je n’ai pas voulu tuer. J’ai agi comme une gamine, j’étais en rage. »
Jugée jusqu’au 24 février, Essia Boulares encourt la réclusion criminelle à perpétuité et 150.000 euros d’amende.