Marseille : « Et j’ai pris trente ans pour ça »… Au procès d’un narcobandit, un témoin anonyme en difficulté
PROCES Kamel Meziani, 38 ans, est jugé pour son implication suspectée dans un double assassinat commis en 2016 à Marseille. Après avoir pris trente ans de prison pour cette même affaire pendant sa cavale, l’accusation semble cette fois en difficulté
- Kamel Meziani 38 ans est jugé depuis ce lundi par la cour d’assises d’Aix-en-Provence.
- Ex-chef d’un des plus puissants réseaux de trafic de stupéfiants de Marseille est suspecté d’être le commanditaire d’un double meurtre, perpétré en 2016.
- Ce jour était auditionné un témoin sous X, portant la principale charge d’accusation contre lui.
Un sourire contenu s’est brièvement dessiné sur le visage de Kamel Meziani. Depuis son box de la cour d’assises d’Aix-en-Provence, le narcotrafiquant de 38 ans, accusé d’être le commanditaire d’un double règlement de comptes survenu à Marseille en octobre 2016 et incarcéré depuis près de dix-huit mois après plusieurs cavales, a esquissé ce mouvement alors que débutait ce mardi l’audition du témoin portant la charge la plus sérieuse contre lui, en l’absence de preuve matérielle.
Un témoin qui déposait sous X, baptisé « témoin 2016_04 », et dont la voix transformée sortait péniblement des téléviseurs retransmettant cette visioconférence particulière. « Je répète simplement ce qu’on m’a rapporté », a insisté ce témoin, qui avait assuré dès le début de l’enquête de police, une quinzaine de jours après les faits, que Kamel Meziani avait été le complice de ce double meurtre, donnant l’autorisation à ses troupes de venger un affront et fournissant le matériel nécessaire à son exécution.
Un témoin anonyme accusé d’avoir été « briefé »
Des confidences que « X 2016_04 » aurait recueillies auprès d’un proche d’un des meurtriers, alors en fuite. Mais voilà, son audition ponctuée de « d’après ce qu’on m’a dit » ne s’est pas passée au mieux pour l’accusation. Ce témoin a rapidement été mis en difficulté, revenant sur certaines de ses déclarations datant d’il y a six ans, et faisant preuve d’approximation.
S’il affirmait à l’époque, que « Souris », tête du réseau des Oliviers A - un des plus puissants de Marseille en ce temps-là - et identifié comme étant Kamel Meziani, avait posé le tracker sous la voiture des victimes (une balise GPS permettant de la géolocaliser), il précisait ce jour que « c’est ce qu’il pensait », et non ce qu’on lui avait dit. Et pour cause, l’enquête a établi que ledit tracker a été acheté deux jours avant les faits, et posé sous la voiture la veille des assassinats. Or, Kamel Meziani se trouvait déjà à ce moment en fuite en Espagne, ce dont ses avocats, Raphaël Chiche, Keren Saffar et Thomas Hugues Vigier, affirment détenir la preuve par ses relevés téléphoniques.
De même, ce témoin semblait ajuster ses propos initiaux déclarant que Kamel Meziani aurait pu fournir le matériel « en passant par quelqu’un » et donc assister ces exécutions sans se trouver directement sur Marseille, où était stocké le T-Max volé servant à cet effet. Enfin, il soutenait que par « être allé voir ''souris'' lui demander l’autorisation », son confident aurait très bien pu vouloir signifier obtenir ce consentement par téléphone.
Des déclarations qui ont fait sortir de leurs gonds les défenseurs de l’accusé. « Je vais oser le dire : Vous avez été briefé avant l’audition. Tous vos ajustements portent précisément sur les points que nous débattons depuis deux jours », s’est emporté Raphaël Chiche, ancien avocat de Redoine Faïd, récoltant des réprimandes de l’avocat général et du président de la cour. « Vous êtes l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours ! », a-t-il poursuivi, après avoir suggéré que cet homme était téléguidé.
Deux autres affaires en cours
Une séquence au terme de laquelle Kamel Meziani a choisi de prendre la parole. « Il [ce témoin sous X] dit avoir peur des représailles, mais c’est d’une plainte pour faux témoignage dont il a peur. Et j’ai pris trente ans par défaut (cette affaire avait été jugée une première fois en son absence, pendant sa cavale) pour ça ! », s’est exclamé celui en qui la police voit l’un des narcotrafiquants les plus actifs de Marseille entre 2010 et 2016. Au terme des deux premiers jours de ce procès prévu pour durer jusqu’à vendredi, Kamel Meziani et ses conseils ont fait face aux deux séquences portant les charges contre lui. L’enquêtrice de police lundi, puis ce témoin ce mardi. Il n’en sort pas affaibli, lui qui a déjà obtenu une relaxe en avril dernier dans sa mise en examen pour association de malfaiteurs dans un triple règlement de comptes de 2013.
Ses conseils, qui n’envisagent à présent rien d’autre qu’un acquittement, sont sortis de la salle d’audience optimiste ce mardi. « Je vous fais ma déclaration pour vendredi ? », a souri Thomas Vigier, qui espère d’ores et déjà que le ministère public aura la sagesse de ne pas faire appel en cas d’acquittement. Pour ça, il faudra déjà que les jurés le suivent dans sa conviction.
Ne restera alors a priori plus que deux manches judiciaires pour leur client, qui semble décidément bien insaisissable par la justice. Un procès pour trafic de stupéfiants, pour lequel il avait écopé, toujours en son absence, de quatorze ans de prison mais dont le jugement a depuis été annulé. Kamel Meziani aura également sans doute le droit à un nouveau passage devant les assises pour son implication supposée dans un autre double assassinat perpétré en août 2021, dix jours avant son arrestation en région parisienne et sa fin de cavale. A voir si d’ici là, ses avocats parviennent à lui faire recouvrer la liberté, ce dont il avait déjà profité en juillet 2020 pour filer à l’anglaise, en dépit de sa mesure de contrôle judiciaire.