Procès de l’attentat de Nice : « Je ne lui ai jamais rien vendu », se défend le fournisseur d’armes albanais
COMPTE RENDU Trafiquant de drogue notoire, Artan Henaj, 44 ans, est accusé d’avoir fourni un pistolet avec cinq cartouches à Ramzi Arefa, lequel l’a revendu au terroriste
- Le procès de l’attentat du 14 juillet 2016 sur la promenade des Anglais, à Nice, qui doit durer jusqu’au 16 décembre, s’est ouvert le 5 septembre devant la cour d’assises spécialement composée, à Paris.
- Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, le conducteur du camion qui a foncé dans la foule, faisant 86 morts et 318 blessés, a été abattu par les forces de l’ordre quelques minutes après le drame. Huit autres personnes – sept hommes et une femme, accusés de l’avoir aidé à divers degrés dans son projet – sont jugées.
- Après quatre semaines consacrées à l’itinéraire du terroriste et aux trois accusés poursuivis pour association de malfaiteurs terroriste (AMT), la cour a commencé jeudi l’interrogatoire des quatre Albanais jugés pour de simples infractions de droit commun. Artan Henaj, alias « Giovanni », 44 ans, est accusé d’avoir fourni un pistolet avec cinq cartouches et une kalachnikov sans munition au Franco-Tunisien Ramzi Arefa.
A la cour d’assises spécialement composée de Paris,
Ancien visiteur de prison, Patrick a côtoyé Artan Henaj chaque lundi matin durant trois ans, lorsque ce dernier était incarcéré au centre pénitentiaire de Meaux-Chauconin (Seine-et-Marne). « Ça crée des liens », explique ce retraité de 71 ans, appelé ce jeudi à témoigner à la barre de cour d’assises spécialement composée. Avec l’accusé, « un garçon sympathique », cet ancien professeur de philosophie, passé ensuite par des cabinets ministériels, parlait un peu de tout. Il l’assure : il n’a rien à voir avec les accusés jugés pour les attentats du 13-Novembre, qu’il a également pu rencontrer. Costume beige, chemise rouge, lunettes métalliques, il résume d’une phrase la raison pour laquelle l’Albanais de 44 ans est jugé. « Il a l’illusion qu’on peut gagner sa vie sans travailler. » En s’adonnant à de petits trafics, il essaie de « gagner de l’argent facilement ».
Dans le box des accusés, les mains dans le dos, Artan Henaj, pull couleur crème, cheveux courts, carrure imposante, écoute attentivement la traductrice qui lui rapporte les paroles du témoin. Libéré de prison en 2020 et placé sous contrôle judiciaire dans le dossier de l’attentat du 14-Juillet à Nice, celui qui se faisait appeler « Giovanni » aurait dû comparaître libre. Mais ses vieux démons l’ont rattrapé. Et en mai dernier, il a été condamné par le tribunal de Montluçon (Allier) pour trafic de stupéfiants à six ans de prison et à une interdiction du territoire français.
« C’est moi qui ai proposé une kalachnikov à Ramzi »
Le voilà donc de retour derrière les barreaux. « Je ne m’attendais pas du tout à ça, mais vraiment pas », souffle Patrick, visiblement un peu déçu, qui pointe « une absence totale de responsabilité » et « l’immaturité » de l’accusé. « Il s’est tiré une balle dans le pied. » En repartant, Patrick, qui a cessé son activité de visiteur de prison après l’avoir exercé huit ans, lui adresse un petit signe de la main.
Trafiquant de drogue, mais aussi d’armes. Artan Henaj est ainsi jugé pour avoir fourni le pistolet 7,65 qui a été utilisé par Mohamed Lahouaiej-Bouhlel le 14 juillet 2016 au terme de sa course, avant d’être abattu. L’accusé n’a pourtant jamais « rencontré » le Tunisien, auteur du massacre qui a fait 86 morts et plus de 400 blessés sur la Promenade des Anglais au volant d’un camion-bélier. « Je ne lui ai jamais rien vendu », insiste-t-il. En effet, il a vendu l’arme et cinq cartouches à Ramzi Arefa, le dealer du terroriste qu’il fournissait en cocaïne. Arefa, ajoute-t-il, lui avait confié en avoir besoin « pour son usage personnel ».
Outre le pistolet, Artan Henaj lui a fourni une kalachnikov « en piteux état », sans munition, retrouvée dans la cave de l’immeuble où habitait Ramzi Arefa. « C’est moi qui ai proposé une kalachnikov à Ramzi. Ce n’est pas lui qui me l’a demandé. Je ne veux pas le charger », promet l’accusé, qui a juré à la cour de « dire la vérité ». Selon lui, c’est Aleksander Hasalla qui lui a fourni ces armes. De son vrai nom Adriatik Elezi, cet Albanais s’est suicidé en juin 2018 pendant sa détention provisoire.
« Retourner en Albanie »
Devant lui, sur le banc des accusés, sont assis Endri Elezi, Enkeledja Zace et Maksim Celaj, qui comparaissent libres. Ils sont jugés, comme lui, pour de simples infractions de droit commun. Artan Henaj tente d’expliquer à la cour les liens familiaux qui unissent ces quatre Albanais, mis en cause dans ce volet de l’affaire. Il y a « Gino », en fait Endri Elezi, le cousin d’Adriatik Elezi. Son ex-épouse, Enkeledja Zace, alias « Leda », qui aurait servi « d’interprète » entre lui et Ramzi Arefa. Mais aussi Maksim Celaj qui, selon Artan Henaj, a été récupérer la kalachnikov cachée par Adriatik Elezi pour l’apporter dans son appartement.
Après la prison, Artan Henaj souhaite « retourner en Albanie ». Il est arrivé un peu par hasard en France, en 2014 ou 2015, « avec un rêve mais il s’est brisé », clame-t-il. « Ça tombe bien, vous avez été condamné à une interdiction du territoire français », rétorque le président, Laurent Raviot. Les interrogatoires des autres Albanais et l’examen du cas du huitième accusé, le Tunisien Brahim Tritrou, « une fréquentation » d’Artan Henaj, jugé en son absence, doivent se poursuivre jusqu’à mardi. Puis ce sera au tour des plaidoiries des avocats des parties civiles à compter de mercredi.