Procès de Pontoise : Peut-on consentir à un acte sexuel à 11 ans ? Le retour du procès qui a fait changer la loi
COUR CRIMINELLE Le parquet avait requalifié en simple atteinte sexuelle sur mineure le viol déclaré par une collégienne de 11 ans, l’estimant consentante, une affaire qui avait suscité une indignation nationale et abouti au changement de la loi
- En avril 2017 une collégienne de 11 ans avait suivi un homme de 28 ans, qui l’avait pénétrée et incité à faire une fellation.
- Le parquet de Pontoise avait estimé que la victime déclarée était consentante, suscitant une indignation nationale et aboutissant au changement de la loi, qui impose désormais une présomption de non-consentement sur mineur de moins de 15 ans.
- Cette affaire est de retour au tribunal, devant la cour criminelle du Val-d’Oise, après trois ans d’enquête et dans un contexte bien différent, marqué par #MeToo.
Les faits avaient suscité un débat national, et la réaction de la justice avait déclenché une avalanche de commentaires, notamment du côté des associations féministes. Ce 2 novembre l’affaire de la collégienne de 11 ans, qui accuse de viol un homme âgé de 17 ans de plus que lui, revient au tribunal, cette fois devant la cour criminelle du Val-d’Oise, et à huis clos.
Rappelons les faits, qui se sont produits le 24 avril 2017. Ce jour-là, la collégienne est assise dans un parc à proximité de chez elle, à Montmagny (Val-d’Oise). Elle discute avec un homme de 28 ans, qui l’a déjà abordée deux semaines plus tôt. L’homme, père d’un enfant de 9 ans, l’invite à la suivre dans son immeuble.
Dans une cage d’escalier, à la demande de l’homme, elle lui fait une fellation. Interrompus par le gardien d’immeuble, ils se rendent dans l’appartement où il réside avec sa famille. Un rapport avec pénétration vaginale a lieu, sans violence. Une fois sorti du domicile, il lui intime de n’en parler à personne. Elle appelle immédiatement sa mère et lui dit avoir été violée.
Peut-on consentir à 11 ans ?
Jusque-là, il aurait pu s’agir d’une banale histoire de violences sexuelles sur mineure, sauf que le parquet de Pontoise considère que ces faits ne correspondent pas à la définition pénale du viol. Il requalifie l’infraction en atteinte sexuelle commise sur mineur de 15 ans, jugeant que la mineure était consentante. Mais peut-on consentir à 11 ans ?
Au moment des faits, l’homme a déclaré que la collégienne était consentante et qu’il ignorait son âge. De son côté, elle a assuré lui avoir donné son âge dès leur première rencontre et avoir insisté la deuxième fois qu’ils s’étaient croisés en lui montrant son carnet scolaire. Elle a aussi expliqué ne pas s’être enfuie ni avoir exprimé son refus des relations sexuelles, par peur.
« On considère qu’un enfant est a priori consentant »
L’affaire a déclenché la mobilisation de nombreuses associations féministes et de protection de l’enfance, précisément à cause de la réaction du parquet. On déplore une « spécificité française ». Interrogée dans Mediapart, Emmanuelle Piet, présidente du collectif féministe contre le viol, juge la décision de la justice honteuse. « Pour l’instant, en France, après 4 ans et demi, on considère qu’un enfant est a priori consentant. »
Lors du procès en février 2018 la recommandation du parquet n’est toutefois pas suivie. Le tribunal se déclare incompétent et demande l’ouverture d’une nouvelle enquête. Et à l’issue d’une instruction de plus de trois ans, les magistrats ont estimé que s’il n’y a eu ni violence ni contrainte physique, la « contrainte morale » et la « surprise » sont établies et justifient le renvoi de l’accusé pour viol.
La loi pénale n’est pas rétroactive
Nous y voici donc, avec entre-temps, un changement majeur de la loi, que la mobilisation nationale a permis. Il existe aujourd’hui un seuil d’âge de consentement, qui a été établi à 15 ans en avril 2021. Depuis, un adulte ne peut se prévaloir du consentement sexuel d’un enfant s’il a moins de 15 ans (ou moins de 18 ans en cas d’inceste). Mais ce changement ne pourra pas être pris en compte par les juges, la loi pénale n’étant pas rétroactive.
« Les juges peuvent avec la loi précédente mais éclairée par la loi d’aujourd’hui avoir une conception plus souples des critères du viol, en particulier la notion de contrainte [aujourd’hui est considéré comme viol tout acte sexuel commis avec « violence, contrainte, menace ou surprise » ]. Ils peuvent considérer qu’un écart d'âge est en soi une contrainte », estime la sénatrice PS Laurence Rossignol, qui avait déposé à l’époque une proposition de loi en ce sens. L’ex-ministre des droits des femmes ajoute que « cette malheureuse petite fille a bien involontairement fait avancer la loi, parce que l’affaire a été médiatisée ».
L’accusé encourt vingt ans de réclusion criminelle. Le verdict est attendu vendredi.