Procès de l’attentat du 14-juillet à Nice : « Je lui ai pris la main et je ne l’ai plus lâchée »…
COMPTE-RENDU Sébastien, 50 ans, est resté près d’une heure au côté d’une jeune fille grièvement blessée durant l’attaque sur la Promenade des Anglais
- Le procès de l’attentat du 14 juillet 2016 sur la promenade des Anglais, à Nice, qui doit durer jusqu’au 16 décembre, s’est ouvert lundi 5 septembre devant la cour d’assises spéciale de Paris.
- Mohamed Lahouaiej Bouhlel, le conducteur du camion qui a foncé dans la foule, faisant 86 morts et 318 blessés, a été abattu par les forces de l’ordre quelques minutes après le drame. Huit autres personnes - sept hommes et une femme, accusés de l’avoir aidé dans son projet - sont jugées, mais seuls trois d’entre eux comparaissent pour des faits de terrorisme.
- A la barre, ce jeudi, Sébastien, 50 ans, a raconté comment il avait secouru Emma, une adolescente de 13 ans grièvement blessée pendant l’attaque. Il a aussi confié la difficulté, pour les victimes de l’attentat, de retrouver une vie normale.
A la cour d’assises spécialement composée de Paris,
Il est des blessures qu’aucun médecin, aucun psychologue, ne peut soigner. Le 14 juillet 2016, Sébastien a eu la chance de ne pas être percuté par le camion conduit par Mohamed Lahouaiej-Bouhlel sur la Promenade des Anglais, à Nice. Mais depuis six ans, le quinquagénaire, originaire de Seine-Saint-Denis, est hanté par les images des corps déchiquetés sur le sol, les cris des survivants.
« Ce drame, il s’imprègne dans votre personnalité, dans votre chair », explique-t-il ce jeudi à la barre la cour d’assises spécialement composée. « On n’est pas victime qu’un soir », souligne ce gérant d’une société de VTC, cheveux courts, fine barbe, lunettes et chemise noire. La douleur est si forte que, souvent, il a « voulu mourir ». Vivant « pleinement [sa] dépression », il s’accroche en pensant à Emma, une jeune fille à qui Sébastien a tenu la main près d’une heure en attendant les secours.
Sa rencontre avec l’adolescente, qui était alors âgée de 13 ans, Sébastien la doit d’une certaine manière au « destin ». A l’époque, il est en couple avec une femme qui habite à Nice. Cet été-là, il prévoit de prendre l’avion pour la rejoindre sur la Côte d’Azur mais au dernier moment, son vol est annulé. Sébastien décide de prendre sa voiture, roule toute la nuit et arrive au petit matin dans la ville qui s’apprête à fêter, quelques heures plus tard, le 14-Juillet. Ce soir-là, sa « petite amie » travaille. Plutôt que de rester seul chez elle, il descend dans la rue pour regarder le feu d’artifice sur la promenade des Anglais, où s’est massée la foule. « D’un seul coup, sans aucun bruit, il y a cette masse blanche qui est passée à côté de moi », raconte-t-il.
« J’ai tourné la tête et j’ai vu cette petite fille par terre »
Au volant de son 19 tonnes, Mohamed Lahouaiej-Bouhlel percute les gens comme une boule dans un jeu de quilles. « Tout le monde s’est mis à hurler, à courir. Je suis resté là, j’ai regardé le camion continuer sa route. J’ai tourné la tête et j’ai vu cette petite fille par terre. Je lui ai pris la main et je ne l’ai plus lâchée. » Il ne le sait pas encore, mais elle s’appelle Emma, elle a 13 ans. Dans l’attentat, la jeune fille a perdu sa grand-mère, sa tante et le mari de cette dernière. Elle-même est grièvement blessée et souffre de brûlures sur tout le corps. « Elle était dans un état assez grave, j’ai compris que je pourrais la perdre si je la lâchais », poursuit Sébastien. Tout en lui parlant, il regarde le camion blanc poursuivre son macabre chemin. Le véhicule finit par s’immobiliser, et une fusillade éclate.
Un policier, qui passe par là, lui « hurle » de se mettre à l’abri. Mais il est « hors de question », pour Sébastien, de lâcher la main d’Emma, jeune survivante au milieu du chaos. « A chaque fois que je levais la tête, je voyais des gens morts. Aucun être humain n’est prêt à voir ça. J’ai vu un homme mourir, agoniser, c’est la pire image car j’aurais voulu lui donner la main pour qu’il puisse partir dignement. J’ai appris après que c’était l’oncle d’Emma. » Plusieurs fois, l’adolescente « a voulu fermer les yeux, se laisser partir ». Alors Sébastien fait en sorte de la « maintenir consciente », pour ne « pas la perdre ». Il faut une cinquantaine de minutes aux secouristes, débordés par le nombre important de victimes, pour prendre en charge Emma.
« J’ai eu la chance de tomber sur Emma »
Les pompiers n’ont plus de brancard. C’est donc sur une « barrière de travaux » que la jeune fille est transportée à l’hôtel Méridien, qui sert à abriter les rescapés. A l’intérieur de l’établissement, Sébastien reste une bonne quinzaine de minutes au côté d’Emma, qui ne cesse de lui demander où se trouve sa famille. Il part alors à leur recherche. En vain. En réalité, seule l’une des sœurs aînées de l’adolescente a survécu. « J’ai voulu croire, pour elle, qu’ils étaient encore en vie. » Il veut retourner voir Emma, mais un policier l’empêche de rentrer dans l’hôtel. Il faut dire que, sur le moment, des rumeurs circulent, faisant état d’autres attaques et de prises d’otages dans la ville. « Ça a été un vrai déchirement pour moi, j’ai eu l’impression de l’avoir abandonnée. »
Ce n’est que deux jours plus tard qu’il retrouve la jeune fille. « J’ai eu la chance de tomber sur Emma qui s’est battue pour vivre, car si elle était morte ce soir-là, je ne serais pas devant vous », lâche celui qui mène un combat quotidien, depuis six ans, contre les idées noires. « Avez-vous réussi à reconstruire une vie personnelle ? » lui demande le président de la cour, Laurent Raviot. « C’est compliqué, lui répond Sébastien. J’ai perdu beaucoup de choses, les gens ne me comprennent plus, ma petite amie a tenu quatre ans. » Peu à peu, il a perdu ses amis. « C’est l’enchaînement, souffle-t-il. Tout s’écroule et vous ne comprenez pas pourquoi. » Aujourd’hui, il s’accroche tant bien que mal à la vie.
« C’est difficile pour elle de raconter ce qui s’est passé »
Il a gardé contact avec Emma, qu’il considère comme un membre de sa « famille ». « Je suis heureux de la voir grandir. Elle a eu son bac, avec mention très bien », raconte fièrement Sébastien, qui se voit comme le « deuxième papa » de la jeune femme. « Physiquement, elle est rétablie, à part quelques cicatrices », décrit à la barre la sœur aînée d’Emma, Dina. Sa cadette, Souad, précise néanmoins que « mentalement c’est encore très compliqué ». Sa petite sœur n’a d’ailleurs pas souhaité témoigner au procès. « C’est trop difficile pour elle de raconter ce qui s’est passé. »