Procès de l’attentat du 14-juillet à Nice : « Je pense au sourire du jeune Brodie »… Le délicat travail d’identification des victimes

COMPTE-RENDU La cheffe de l’unité chargée de l’identification des victimes de l’attentat de Nice a décrit à l’audience ce mercredi le difficile travail des policiers pour mettre un nom sur les corps retrouvés

Thibaut Chevillard
Le procès de l'attentat de Nice, qui avait fait 86 morts le 14 juillet 2016, se tient à Paris depuis le 5 septembre
Le procès de l'attentat de Nice, qui avait fait 86 morts le 14 juillet 2016, se tient à Paris depuis le 5 septembre — BENOIT PEYRUCQ / AFP
  • Le procès de l’attentat du 14 juillet 2016 sur la promenade des Anglais, à Nice, qui doit durer jusqu’au 16 décembre, s’est ouvert lundi 5 septembre devant la cour d’assises spéciale de Paris.
  • Mohamed Lahouaiej Bouhlel, le conducteur du camion qui a foncé dans la foule, faisant 86 morts et 318 blessés, a été abattu par les forces de l’ordre quelques minutes après le drame. Huit autres personnes - sept hommes et une femme, accusés de l’avoir aidé dans son projet - sont jugées, mais seuls trois d’entre eux comparaissent pour des faits de terrorisme.
  • A la barre, ce mercredi, la commissaire Elvire Arrighi a raconté le travail effectué par les policiers pour identifier les nombreuses victimes de l’attaque.

A la cour d’assises spécialement composée de Paris,

« Mon témoignage va nécessairement être technique, nous sommes chargés de remettre de l’ordre et de la raison la où la catastrophe a semé la terreur. » Pendant près de deux heures, la policière qui témoigne ce mercredi à la barre de la cour d’assises spécialement composée de Paris déroule méthodiquement son exposé. En juillet 2016, la commissaire Elvire Arrighi, 41 ans, était en poste à la sous-direction de la police technique et scientifique, où elle dirigeait l’unité chargée de l’identification des victimes de catastrophes. Son équipe a mené, en quelques jours, un travail titanesque pour mettre « un nom à chaque corps sans vie » retrouvé sur la promenade des Anglais, à Nice, après l'attentat commis par Mohamed Lahouaiej-Bouhlel.

« Dès que nous avons été informés par les médias des événements en cours, j’ai demandé à tous les membres de l’unité de regagner le service », raconte de sa voix douce la policière, cheveux blonds, queue-de-cheval, tailleur sombre. Après avoir été réquisitionnée par la Sdat - la sous-direction antiterroriste de la police judiciaire - son unité, composée de 132 spécialistes, gagne la Côte d’Azur. Lorsqu’ils arrivent, vers 6h du matin, le 15 juillet, les agents de la DIPJ de Marseille sont encore en train d'effectuer des constatations sur les lieux de l’attaque. Sur une fiche, les policiers notent l’endroit où les corps - ou morceaux de corps - ont été retrouvés, précisent si des objets permettant leur identification ont été retrouvés, comme un téléphone ou une carte d’identité.

« Les enfants ont été identifiés en premier »

Progressivement, les personnes décédées sont acheminées à l’institut médico-légal de la ville, où une partie de son équipe s’est installée. « Ils ont travaillé jour et nuit, en rotation, pour effectuer des examens corporels », poursuit la commissaire. A l’intérieur, les corps sont installés sur trois tables. Autour d’eux, trois membres de l’unité les examinent, tandis qu’un quatrième note leurs observations. On relève leurs empreintes digitales, on prélève un peu d’ADN, on décrit leurs signes distinctifs, la façon dont ils sont vêtus… Leurs effets personnels sont mis de côté, tandis que d’autres spécialistes vont analyser et photographier leur dentition.

Tous ces éléments sont ensuite comparés à ceux communiqués par les familles qui attendent de savoir si leurs proches sont décédés ou hospitalisés dans un état grave, sans qu’ils n’aient pu être avertis. On apporte des photos, des brosses à dents… C’est une commission qui, plus tard, confirmera l’identité de personnes retrouvées. « Les enfants ont été identifiés en premier », confie la commissaire qui, jusque-là, parvient à maîtriser son émotion. En tout, « 88 personnes et 10 parties de corps sont identifiées en moins de cinq jours », souligne-t-elle, ajoutant qu’il a fallu deux fois plus de temps pour effectuer le même travail après les attentats du 13-Novembre.

Des policiers « bouleversés par ce qu’ils ont vécu »

« Chaque histoire est unique et bouleversante, souligne Elvire Arrighi. Nous n’avons oublié aucun visage. » Son exposé prend une autre tournure lorsqu’elle évoque le cas des Copeland, une famille américaine en vacances en France, qu’elle a reçue personnellement, étant la seule de son équipe, à ce moment-là, à parler anglais. Face à elle, une femme qui a perdu son mari et Brodie, 11 ans, son fils unique. La veuve est accompagnée par les deux enfants que son mari a eus d’une précédente union. Elle décrit à la policière le grain de beauté sous l’œil droit de son époux, ses fossettes. « Il est mort en essayant de sauver son fils, lorsqu’il a vu le camion foncer dessus. »

La maman décrit ensuite son petit garçon, ses 137 cm, ses 32 kg, son tee-shirt rouge avec trois boutons, ses taches de rousseur sous les yeux, ses baskets noires. Elle lui envoie ensuite « les photos les plus récentes de son enfant, pour aider à son identification ». Elles ont été prises « quelques minutes avant l’attaque », alors que le garçonnet mangeait des bonbons et semblait heureux. La voix de la commissaire trahit alors son émotion. Le petit Brodie est la première victime de l’attentat à avoir été identifiée. Sa maman, son frère et sa sœur ont pu le voir à l’institut médico-légal le 17 juillet. Tous les étés, Elvire Arrighi pense à la famille Copeland, « mais surtout au sourire de Brodie ». Elle sait qu’elle n’est pas la seule à avoir été marquée par les jours qui ont suivi l’attaque. « Chacun des effectifs engagés sur cette mission a été bouleversé par ce qu’il a vécu. »