Détention provisoire, auditions, quartier d'évaluation de la radicalisation... Quel avenir pour les femmes rapatriées des camps syriens ?
DECRYPTAGE Les anciennes membres de l’Etat islamique vont suivre le parcours habituel des personnes de retour de Syrie et devront probablement attendre au moins deux ans avant d’être jugées
- Mardi 5 juillet, 16 femmes et 35 mineurs ont été rapatriés en France par les autorités depuis des camps de prisonniers djihadistes situés dans le nord-est de la Syrie.
- Huit des femmes, faisant l’objet d’un mandat de recherche, et huit concernées par un mandat d’arrêt, ont ensuite été mises en examen pour association de malfaiteurs terroriste criminelle et placées en détention provisoire.
- En attendant leur passage devant la cour d’assises spécialement composée, les 16 femmes feront l’objet d’une évaluation pour déterminer si elles sont toujours radicalisées ou si elles ont rompu avec la doctrine du groupe Etat islamique (EI).
Elles ont entre 22 et 39 ans, sont toutes françaises ou ont des enfants français, et ont toutes été placées en détention provisoire. Rapatriées des camps de prisonniers situés dans le nord-est de la Syrie le mardi 5 juillet dernier, ces 16 femmes ont toutes été mises en examen pour association de malfaiteurs terroriste criminelle, certaines dans la foulée, d’autres quelques jours plus tard. Avec elles, 35 mineurs ont également été arrachés aux conditions extrêmes de ces camps où la température cumule à 50 °C sous la tente en été.
Dans les quartiers spécialisés des maisons d’arrêt
Les autorités françaises sont rodées. Si ce large rapatriement est inédit en France, plusieurs sont rentrées de leurs propres moyens depuis 2013. Des dizaines de femmes et d’hommes ont connu ce parcours judiciaire. Et le système s’est amélioré pour accueillir ces profils atypiques. Des quartiers d'évaluation de la radicalisation (QER) se sont développés, tout comme des quartiers de prise en charge de la radicalisation (QPR), comme à Rennes, prison pour les détenues femmes qui peut accueillir jusqu’à 16 personnes en ce moment, et jusqu’à 29 cellules à terme, selon Ouest France.
Certaines des seize femmes qui ont été rapatriées au début du mois de juillet y sont déjà, puis iront ailleurs par la suite. Elles vivent dans des cellules individuelles de 11 m² avec un lit, une douche, un petit bureau, un téléphone fixe accroché au mur, précise le quotidien régional qui a pu visiter les lieux. D’autres sont à Fresnes, dans des QER. Elles n’ont pas toutes été placées dans les mêmes maisons d’arrêt.
En détention provisoire jusqu’à la cour d’assises
Huit visées par un mandat d’arrêt, huit par un mandat de recherche, elles font désormais l’objet d’une procédure criminelle et vont être entendues par le magistrat instructeur à maintes reprises pendant l’enquête. Leur mandat de dépôt sera très probablement renouvelé jusqu’à leur passage, d’ici au moins deux ans, devant la cour d'assises spécialement composée.
Certaines seront jugées individuellement, certaines dans dossiers groupés, mais « c’est une information qu’on ne peut pas donner », précise à 20 Minutes l’avocat qui défend une partie des dossiers, Ludovic Rivière. « Pour le moment, elles sont seules, mais elles peuvent faire partie d’un réseau, d’une famille, liés à des départs en Syrie, explique à sont tour Edith Bouvier, journaliste spécialiste de la question et co-auteure du Cercle de la terreur et d’Un parfum de djihad.
« Tout dépend des personnes avec qui elles ont traîné sur place et de leur parcours en détention. Ce sont des femmes au profil très différent et au niveau de radicalisation variable, ajoute-t-elle. D’ailleurs, les femmes qui sont de retour de Syrie sont en général moins radicalisées que celles qui ne sont jamais parties, parce qu’elles savent, elles ont fait l’expérience de la vie sous l’Etat islamique (EI) ».
Encore de nombreuses femmes et enfants sur place
La journaliste précise que tous les « gros profils » n’ont pas encore été rapatriés. Si un nom résonne particulièrement, celui d’Emilie König, certaines sont toujours sur place. On pense notamment aux épouses des frères Clain, ceux-là mêmes qui ont revendiqué les attentats du 13-Novembre à Paris et Saint-Denis et ont été condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité incompressible lors du procès, malgré leur absence du box des accusés car présumés morts en Syrie. Il reste entre 60 et 80 femmes qui ont appartenu à l’EI dans les camps, selon maître Ludovic Rivière.
Mais l’urgence, pour l’avocate engagée dans cet épineux dossier, Marie Dosé, ce sont les quelque 250 enfants qui sont toujours sur place et ne comprennent pas pourquoi ils n’ont pas pu rentrer avec les autres. « Ils ont vu leurs copains allemands, belges partir, maintenant ils ont vu leurs copains français partir avec leurs mères… Ils se demandent pourquoi ils n’ont pas été choisis. C’est cauchemardesque, il faut que d’autres rapatriements soient organisés vite ». Il est probable que ce rapatriement signale un changement de la doctrine adoptée jusqu’ici par le gouvernement du goutte à goutte. Ainsi, « on peut s’attendre à d’autres retours », espère Edith Bouvier.
L’épineuse question du rapatriement des hommes adultes
D’autant qu’une fois en France, la suite se passe en général sans trop d’accrocs. « Les enfants pris en charge jusqu’ici vont tous à l’école et ça se passe bien malgré les cauchemars et ce genre de choses. Le personnel est de mieux en mieux formé et il les accompagne bien », précise la journaliste qui est restée en contact avec plusieurs familles.
L’autre question, plus délicate encore, est celle du rapatriement des hommes français détenus par les Kurdes en Syrie. Malgré la réticence du gouvernement qui préférerait qu’ils soient jugés sur place, « pour des raisons de sécurité et de respect des droits humains, leur retour s’impose », tranche Ludovic Rivière. Un sujet qui n’a toutefois pas du tout évolué dans le discours de l’exécutif. Pour le moment.