Police : L'arrivée d’une magistrate à la tête de l’IGPN, une « évolution » mais pas une révolution

NOMINATION Agnès Thibault-Lecuivre doit être nommée ce mercredi à la tête de l’Inspection générale de la police nationale

Hélène Sergent
Pour la première fois, une personnalité issue de la magistrature va diriger cette administration.
Pour la première fois, une personnalité issue de la magistrature va diriger cette administration. — PATRICK KOVARIK / AFP
  • Pour la première fois, l’IGPN, l’administration chargée du contrôle de la police nationale, sera présidée par une personnalité issue de la magistrature.
  • Un « choix politique » à relativiser, estiment certains syndicats de policiers, quand d’autres y voient un signal de défiance à l’égard de la profession de la part du ministère.
  • Malgré cette évolution, cet organe de contrôle des forces de l’ordre reste rattaché au ministère de l’Intérieur et sous l’autorité de la direction générale de la police nationale.

« Partiale », « laxiste », « dépendante ». Depuis la crise des «  gilets jaunes » et la documentation croissante sur les violences policières, l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) a fait l’objet d’intenses critiques. Déjà évoquée en 2020 après la violente interpellation du producteur de musique Michel Zecler à Paris, la nomination d’une personnalité extérieure au corps policier à la tête de cet organe est en passe d’être officialisée. Ce mercredi 20 juillet, le ministre de l’Intérieur devrait en effet proposer le nom d’une magistrate – Agnès Thibault-Lecuivre – pour diriger la « police des polices ». Une première depuis la création de cette administration chargée de contrôler l’action des policiers en France.

Des syndicats divisés

Sans surprise, cette nomination atypique n’est pas perçue comme une « bonne chose » par ​le syndicat de police Alliance. « Déjà nos collègues redoutaient l’IGPN avec à sa tête un policier, alors un magistrat, ils vont craindre le pire », a ainsi réagi auprès de l’AFP Frédéric Lagache, délégué général de l’organisation. Une analyse loin d’être partagée par son homologue d’Unité SGP Police FO, Grégory Joron : « Je ne suis pas sûr que ça inquiète vraiment les policiers de terrain. C’est une évolution, certes, mais l’IGPN ne nous faisait déjà pas de cadeaux. Donc je ne vois pas ce que cela peut changer concrètement. D’autant que lorsque des policiers de l’Inspection enquêtent sur des collègues, ils sont soumis à l’autorité d’un magistrat chargé de diriger les investigations ».

Arrivée place Beauvau en septembre 2020 comme conseillère Justice auprès de Gérald Darmanin, puis nommée directrice adjointe de son cabinet deux ans plus tard, cette magistrate âgée de 41 ans est surtout perçue comme un « choix politique » par Olivier Varlet, secrétaire général de l’Unsa Police. Reconnaissant une « évolution de l’institution » le responsable syndical estime toutefois que le profil retenu par le ministre de l’Intérieur « traduit un manque de confiance à l’égard des policiers et de notre institution ».

Un symbole jugé insuffisant

Au-delà du symbole, la portée de l’arrivée d’Agnès Thibault-Lecuivre à l’IGPN est largement nuancée par les ONG et chercheurs qui plaident, depuis de nombreuses années, pour une véritable indépendance de cet organe de contrôle. « L’IGPN reste rattachée au ministère de l’Intérieur, et ce n’est pas cette nomination qui réglera le problème d’accès à la justice pour les victimes de violences policières », tranche Fanny Gallois, responsable du programme « Libertés » au sein d’Amnesty France. En tout état de cause, le fonctionnement de ce service ne devrait pas être bouleversé. Or, selon le sociologue et directeur de recherches au CNRS Sebastian Roché, seule une modification en profondeur du statut de cette police des polices permettrait de garantir une totale indépendance aux enquêteurs chargés de contrôler leurs confrères.

« Cette magistrate peut-être remerciée du jour au lendemain. Sa nomination reste à la discrétion totale du ministre de l’Intérieur, et elle est placée sous l’autorité du directeur général de la police nationale. Quand on nomme à la tête d’un organisme de contrôle une personne qui a un statut de haut fonctionnaire et qui a eu des fonctions politiques, ce n’est pas un gage d’indépendance. Enfin, sa nomination ne change rien à la manière dont sont recrutés les fonctionnaires de police au sein de l’IGPN. Ils appartiennent au même groupe professionnel que celles et ceux qu’ils sont chargés de contrôler. Ils sont à la fois juge et partie », énumère le sociologue, spécialiste des questions de police et de sécurité.

A défaut d’une réforme structurelle, Grégory Joron, lui, veut voir en ce changement de direction une « avancée ». « Si nommer une magistrate peut éviter à l’institution de futurs faux procès, tant mieux ! », conclut-il.