L'incroyable histoire des lingots d'or pillés dans une épave française et retrouvés aux Etats-Unis

ENQUETE Trois personnes ont été mises en examen récemment pour le recel de lingots d’or pillés sur une épave française qui a fait naufrage en 1746 dans le Morbihan

Thibaut Chevillard
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Les lingots saisies par les autorités américaines ont été restitués à la France le 27 mai 2022
Les lingots saisies par les autorités américaines ont été restitués à la France le 27 mai 2022 — gendarmerie nationale
  • En décembre 1746, un navire français fait naufrage près de Belle-Ile-en-Mer. Le trésor qu’il transportait est resté sous la mer durant plus de deux siècles.
  • Dans les années 1970, l’épave est découverte et pillée par des plongeurs indélicats.
  • Plusieurs lingots ont été identifiés alors qu’ils étaient mis en vente sur un site d’enchères américain. L’enquête a abouti à la mise en examen de trois personnes. Les lingots ont été restitués à la France par les Etats-Unis.

3 décembre 1746. De retour d’extrême orient, le « Prince de Conty », un navire de la compagnie française des Indes orientales, fait naufrage près de Belle-Ile-en-Mer (Morbihan). Le bilan est lourd : des 229 hommes à bord, seuls 45 survécurent. Durant plus de 230 ans, l’épave du voilier, qui transportait notamment des lingots d’or, reposa à une quinzaine de mètres de fond avec ses précieux trésors. Elle sera finalement découverte en 1974 par un enseignant. Une trouvaille qui suscite aussitôt la convoitise de quelques plongeurs indélicats qui la pillent, emportant notamment des lingots d’or. Cinq d’entre eux furent identifiés et jugés et condamnés en 1983 à Lorient. Mais une partie de la cargaison n’a jamais été retrouvée.

39 ans plus tard, l’affaire connaît un ultime rebondissement. Une enquête menée conjointement par la section de recherches de la gendarmerie maritime, l’Office central de lutte contre le trafic de biens culturels et le groupe interministériel d’Ille-et-Vilaine, a abouti à la mise en examen de trois personnes et à la restitution à la France par les Etats-Unis de cinq lingots transportés par le navire. Les autorités américaines les ont remis à la France lors d’une cérémonie en grande pompe, début mars, à Washington. Ils devraient désormais rejoindre un musée pour être exposés.

Mis en vente sur un site d’enchères

Les investigations ont rebondi fin 2017. Cinq lingots d’or sont alors mis en vente sur un site d’enchères américain. Les spécialistes du département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines n’ont pas de doute : ce sont bien les lingots qui étaient transportés par le « Prince de Conty ». Un signalement est effectué, en 2018, auprès du tribunal judiciaire de Brest et une enquête préliminaire ouverte. En février 2020, un juge d’instruction est saisi et une information judiciaire ouverte, des chefs de recel de biens culturels, blanchiment en bande organisée, association de malfaiteurs, et exportation illégales de biens culturels.

Les investigations permettent rapidement d’identifier la vendeuse du lot sur le site de vente aux enchères, et une autre femme qui avait déclaré à la télévision américaine avoir découvert fortuitement ces lingots lors d’une plongée. Aujourd’hui âgée de 76 ans, elle est la belle-sœur d’un homme de 74 ans qui a été plongeur-photographe professionnel. A la fin des années 1970, ce dernier a justement participé à de nombreuses plongées sur l’épave du « Prince de Conty ». Aujourd’hui retraité, il avait même, un temps, été suspecté d’avoir participé au pillage du navire du 18e siècle avant d’être mis hors de cause.

Des lingots exposés au British Museum

Une perquisition est réalisée au domicile de cet homme et de son épouse. Elle permet aux enquêteurs « la découverte d’indices matériels incriminant, notamment des transactions portant sur la vente de lingots avec un couple américain », a indiqué le parquet de Brest dans un communiqué. Le 17 mai, le plongeur, sa femme et sa belle-sœur sont placés en garde à vue. Le couple « a reconnu son implication dans la récupération des lingots et également leur vente en Suisse et aux Etats-Unis », a expliqué ce mercredi le procureur de Brest, Camille Mansioni, lors d’une conférence de presse. La belle-sœur du principal suspect, en revanche, conteste toute responsabilité dans cette affaire.

Tous trois ont été mis en examen le 18 mai 2022 et placés sous contrôle judiciaire. Les investigations se poursuivent afin de retrouver la trace d’autres lingots transportés par le « Prince de Conty ». « Des grands établissements culturels de renommée internationale, en particulier le British Museum, ont acquis auprès de personnes appartenant au groupe identifié des lingots et des objets provenant de l’épave du Prince de Conty et les détiennent encore », a assuré Camille Mansioni. « Les demandes de restitution transmises, notamment au British Museum, sont restées à ce jour, curieusement et avec regret, infructueuses ».