Procès de Dino Scala : Comment l'accusé a-t-il été retrouvé, après 20 ans de traque du « violeur de la Sambre » ?
JUSTICE Deux enquêteurs de la police judiciaire sont venus raconter à la barre les vingt ans d’enquête pour mettre la main sur celui qu’ils avaient surnommé « le violeur de la Sambre »
- Deux enquêteurs sont venus témoigner, ce mardi, devant la cour d’assises du Nord, à Douai, dans le procès de Dino Scala.
- Cet ancien technicien de maintenance de 61 ans y est jugé, jusqu’au 1er juillet, pour viols et agressions sexuelles sur 56 plaignantes, entre 1988 et 2018.
- Pour les policiers, il y a certainement un « chiffre noir » des victimes car « toutes n’ont pas porté plainte ».
Comment les crimes du « violeur de la Sambre » ont-ils pu rester impunis pendant trente ans ? Deux enquêteurs sont venus témoigner, ce mardi, devant la cour d’assises du Nord, à Douai, dans le procès de Dino Scala. Cet ancien technicien de maintenance de 61 ans y est jugé, jusqu’au 1er juillet, pour viols et agressions sexuelles sur 56 plaignantes, entre 1988 et 2018, date de son arrestation.
Car avant de pouvoir dire, en face, « This is the end », à Dino Scala, le jour de l’interpellation, un commandant de la police judiciaire (PJ) de Lille a connu vingt ans d’échecs. Devant le juge et les jurés, il raconte les aléas et les difficultés de l’enquête à partir de l’ouverture d’une information judiciaire, en 1996. « On cherchait un monsieur Moyen, car il y avait beaucoup de "moyen" dans les descriptions du suspect », ironise l’officier de police.
Peu d’indices
Les seuls indices dont il dispose sont que l’agresseur est coiffé d’un bonnet, se déplace visiblement à bord d’une R21 et opère toujours de la même manière dans le val de Sambre, près de Maubeuge, dans le Nord. « Très tôt, nous avons orienté les recherches autour des sorties d’usine ou de chantier car de nombreuses victimes signalaient une odeur de graisse ou de cambouis, lors de leur témoignage », explique-t-il.
De même, le violeur agit aussi quasi systématiquement au petit matin, en automne ou en hiver. « Pour nous, c’était quelqu’un qui embauchait ou débauchait tôt », poursuit-il. Toutes ces pistes étaient bonnes, et pourtant… Un premier portrait-robot est même établi dès 1997, mais les recherches restent infructueuses.
En 2008, alors que le violeur vient à nouveau de sévir, une nouvelle cellule de la PJ, consacrée aux affaires un peu oubliées, reprend l’enquête en réinterrogeant les victimes. « On cherchait un point commun à toutes ces agressions, commente le policier. On a même imaginé que ça pouvait être un agent d’EDF car les attaques avaient souvent lieu à côté d’un bloc EDF. »
Un ADN qui ne « matche » pas
Les vérifications par rapport à un véhicule suspect, une R21 de couleur claire, ne donnent rien. Un ADN unique est certes identifié mais il ne « matche » pas. Et pour cause, Dino Scala n’a aucun casier judiciaire. La justice tente alors la recherche en parentalité autour de ce génotype. Un travail de fourmi qui permet de cibler une cinquantaine de suspects. Les vérifications innocentent tout le monde. Et les agressions continuent.
Jusqu’à ce qu’une cadre administrative de la police alerte sur une nouvelle agression survenue le 5 février 2018 à Erquelinnes, à la frontière franco-belge. « Grâce à elle, nous avons, de suite, envoyé un enquêteur sur place », souligne l’officier de police. Et, cette fois, la chance est du côté de la police. Des images d’une caméra de vidéosurveillance, installée près du lieu de l’agression, permettent d’identifier la 206 un peu cabossée d’un suspect et un bout d’immatriculation.
Le véhicule est retrouvé presque par hasard, le 21 février, sur le parking de l’usine Jeumont Electrique par l’enquêteur de la PJ. « Le conducteur correspond au portrait-robot du violeur », se souvient ce dernier. Dès lors, une filature commence à se mettre en place. L’immatriculation du véhicule ne correspond pas au propriétaire, car le changement de carte grise n’avait pas été effectué.
Un « chiffre noir » des victimes ?
La police attend que Dino Scala se rende à son travail en voiture pour l’arrêter. C’est chose faite sur une route de campagne, le 26 février, à 6h25. « Quand il a ouvert la porte, j’avais le sentiment qu’on ne s’était pas trompé, rapporte l’officier de la PJ. Je me souviens de son regard. Il avait compris. » L’après-midi, l’ADN confirme l’identité génétique. « Lors de la perquisition chez lui, on retrouve la panoplie complète : gants, cordelette, bonnet, préservatifs… »
Le suspect avoue rapidement une quarantaine d’agressions sexuelles. Près de 80 dossiers non élucidés sont passés au crible. La justice retiendra 56 plaintes ou affaires. Mais pour les policiers, il y a certainement un « chiffre noir » des victimes car « toutes n’ont pas porté plainte ».
Trente ans de crimes et vingt ans de traque venaient de prendre fin. La dissémination des dossiers de plainte dans les années 1990, cumulée à leur mauvaise prise en compte dans certains commissariats, explique, en partie, la lenteur de cette enquête. « Il faut se remettre dans les conditions de l’époque, il y a moins de relations entre les services. »
Mais une dernière question se pose. « Pourquoi ne pas avoir diffusé, en France, le portrait-robot qui existait, alors que la police belge le fait en 2011 ? », demande l’avocat d’une des plaignantes, Me Emmanuel Riglaire. « Il n’était pas assez reconnaissable, répond l’enquêteur et ça n’a permis de l’arrêter non plus en Belgique ». Et si ça avait renforcé le sentiment d’impunité de l’accusé ?