Procès du 13-Novembre : « J’ai renoncé à activer ma ceinture… » Le mutisme à géométrie variable de Salah Abdeslam

COMPTE-RENDU Alors qu’il devait être entendu sur les faits le soir du 13-Novembre, et notamment sa participation aux commandos, Salah Abdeslam a fait valoir son droit au silence. Sauf face à une avocate

Caroline Politi et Hélène Sergent
Contrairement à sa posture adoptée depuis le début du procès, Salah Abdeslam a refusé catégoriquement de répondre aux questions sur le déroulé de la soirée du 13 novembre 2015.
Contrairement à sa posture adoptée depuis le début du procès, Salah Abdeslam a refusé catégoriquement de répondre aux questions sur le déroulé de la soirée du 13 novembre 2015. — Benoit PEYRUCQ / AFP
  • Le procès des attentats du 13-Novembre a commencé le 8 septembre. Cette semaine, la cour d’assises spécialement composée doit entendre les accusés sur le déroulé de la soirée des attentats.
  • Après six années de silence, Salah Abdeslam avait accepté de s’expliquer petit à petit au fil de ses interrogatoires.
  • Ce mercredi pourtant, l’accusé a surpris la cour d’assises spécialement composée en faisant valoir son droit au silence et en refusant de s’expliquer sur le déroulé précis du 13 novembre 2015.

A la cour d’assises spécialement composée de Paris,

« Monsieur le président, je souhaite faire usage de mon droit au silence aujourd’hui. » Coup de théâtre au procès des attentats du 13-Novembre. Alors que Salah Abdeslam devait être longuement interrogé mercredi et jeudi sur son rôle au sein des commandos, l’accusé, tout de noir vêtu, a d’emblée indiqué qu’il ne répondrait à aucune question. Si c’est son droit le plus strict, cette décision a surpris la cour comme les parties civiles, venues en nombre pour assister à cette audience, l’une des plus attendues de ces quelque neuf mois de procès. Après s’être tu tout au long de l’instruction, le « dixième homme » des attentats semblait pourtant être sorti de son mutisme, prenant même parfois la parole intempestivement. Cette fois, il n’en sera rien.

« Vous savez que ça peut être dangereux, insiste le président pour le convaincre de coopérer. On risque, face à des non-réponses, d’en garder certaines qui peuvent vous être défavorables. » Salah Abdeslam, droit comme un « i », mains jointes dans le box, maintient sa position. Il ne coopérera pas, lui qui était tant attendu sur sa version des faits et son rôle cette nuit-là. « J’ai fourni des efforts, j’ai gardé le silence pendant six années, ce n’était pas une chose facile. C’était la position que je voulais garder au début du procès mais j’ai changé d’avis, j’ai donné des explications. Je me suis aussi exprimé à l’égard des victimes, avec respect, je n’ai plus rien à donner maintenant », justifie-t-il, avant de demander l’autorisation de se rasseoir pour écouter le président égrener ses questions.

« Est-ce que vous avez renoncé ou la ceinture n’a pas fonctionné ? »

Quelle cible lui était attribuée ce soir-là ? Le Stade de France ou le 18e arrondissement, où un attentat non perpétré a été revendiqué ? Peu après son interpellation, en Belgique, Salah Abdeslam avait assuré qu’il devait initialement se faire exploser au Stade de France mais avait renoncé. Les investigations ont permis de démontrer qu’il avait effectivement conduit les trois terroristes à Saint-Denis avant de prendre le chemin du nord de Paris. Et surtout, et c’est probablement l’une des questions centrales du procès, a-t-il réellement renoncé à se faire exploser, ainsi qu’il l’a suggéré lors de son audition du mois de février, ou bien le gilet explosif était-il défectueux, comme il l’a indiqué à d’autres membres de la cellule terroriste ?

« Pourquoi, si vous avez renoncé à activer votre ceinture au Stade de France, vous allez dans le centre de Paris alors que vous êtes déjà dans le nord de la région parisienne, ce qui est plus simple pour rentrer en Belgique ? », insiste le président. Silence. « Qu’allez-vous faire dans le 18e ? » Silence. « Est-ce que vous avez renoncé ou la ceinture n’a pas fonctionné ? » Salah Abdeslam regarde droit devant lui, inexpressif. Il ne réagira pas plus lorsque l’un des trois représentants du ministère public, Nicolas Le Bris, déplorera son attitude. « Ce silence apporte la confirmation que la lâcheté est la marque de fabrique des terroristes. Il n’y a vraiment aucune once de courage chez vous », conclut-il.

« C’est à ce moment-là que tout va changer pour moi. »

Il faudra attendre presque deux heures et les questions d’une des avocates des parties civiles, Me Claire Josserand-Schmidt, pour que Salah Abdeslam sorte de son mutisme. Déjà lors des deux derniers interrogatoires, l’avocate semblait avoir réussi à gagner sa confiance et parvenait à le pousser, avec douceur, dans ses retranchements. « Je vais quand même répondre à quelques questions parce que je vous avais promis », lâche à la surprise générale le seul membre encore vivant du commando. Sur sa fiancée, d’abord, et ce fameux repas, le 10 novembre, où elle le voit en larmes. « Moi, à ce moment-là, je savais que j’allais partir en Syrie, c’était ça qu’on m’avait proposé », lâche-t-il. A ce moment-là, « vous n’êtes donc pas dans l’optique de porter une ceinture explosive ? », reprend l’avocate. « Exactement ».

A l’en croire, c’est le lendemain, lors d’un aller-retour en France, que son frère Brahim l’informe du projet d’attentats. « C’est à ce moment-là que tout va changer pour moi. » On est le 11 novembre, deux jours donc avant les attaques. Son discours reprend peu ou prou les propos de la veille de Mohamed Abrini. Mardi, ce dernier a assuré que c’est en raison de son renoncement à faire partie des commandos que Salah Abdeslam les a intégrés au dernier moment, héritant de son gilet et de sa ceinture d’explosifs. « Mais je n’ai pas été au bout, poursuit Salah Abdeslam devant une salle suspendue à ses lèvres. J’ai renoncé à activer ma ceinture, pas par lâcheté, pas par peur. Je voulais pas. » L’avocate poursuit ses questions. Pourquoi, alors, avoir dit aux autres membres de la cellule que cette ceinture n’avait pas fonctionné ? « La vérité ? J’avais honte de ne pas être allé jusqu’au bout. J’avais peur du regard des autres. »

Une version fragilisée par l’audition de l’expert chargé d’analyser sa ceinture explosive. L’engin, découvert une semaine plus tard, n’était, selon lui, pas fonctionnel. Non seulement parce que le bouton-poussoir et la pile avaient disparu, mais également parce que l’inflammateur était défectueux. Reprenant brièvement la parole, l’accusé a affirmé qu’il avait lui-même retiré ces éléments pour éviter un accident. « Le jour où j’ai abandonné cette ceinture, je l’ai mise dans un endroit où il y a peu de chance qu’elle soit retrouvée, manipulée », a-t-il affirmé. Face au scepticisme du président, Salah Abdeslam s’agace, comme vexé que sa version des faits puisse être remise en question : « Voilà pourquoi je ne voulais pas répondre ».