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TERRORISME Depuis une dizaine de jours, la cour d’assises spécialement composée se penche sur les préparatifs des attentats du 13-Novembre à Paris et Saint-Denis… Revivez l’audition de Salah Abdeslam
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« On sentait la tension monter, on sentait que ça n’allait pas bien se terminer. Je fais partie des mauvais élèves, j’ai applaudi mais si j’avais su que ça mettrait en difficulté la cour et le procès, je ne l’aurai pas fait, c’était malvenu », a réagi à la sortie de l’audience Dominique Kielemoes, la mère de Victor, tué lors des attentats du 13-Novembre et vice-présidente de l’association 13onze15.
Face au départ des avocats de la défense, le président décide de suspendre définitivement l’audience pour aujourd’hui : « On va reprendre, je l’espère, dans le calme demain matin ».
Certaines parties civiles « regrettent ce mouvement d’humeur », assure Me Reinhart, en faisant référence aux applaudissements lancés juste avant la suspension. « Ça ne se reproduira pas », assure l’avocat
«Le seule point de vue que j'exprime, c'est que peut-être il est difficile aujourd'hui de poursuivre les débats», estime l'un des avocats des parties civiles.
« La sérénité de l’audience est compromise irrémédiablement pour aujourd’hui (…) sur les bancs de la défense nous quittons nos fonctions aujourd’hui », réagit l’avocate de Salah Abdeslam, Me Ronen
« C’est un appel au calme que je fais. J’essaye depuis plusieurs mois de maintenir ces débats dans un climat de sérénité, de dignité, ce n’est pas facile tout le temps. Dans ce cadre-là, il n’est pas admissible d’avoir des manifestations de ce type-là dans le public », déclare Jean-Louis Périès, en réaction aux applaudissements lancés sur les bancs des parties civiles.
L’un des avocats des parties civiles, Me Chemla a dénoncé une « indécence insupportable » en évoquant les mots prononcés plus tôt par Abdeslam qui a lancé à la cour : « Vous avez gâché ma vie ! ». « C’est vous qui êtes insupportable là », rétorque Abdeslam à l’attention de l’avocat avant d’ajouter : « Je n’ai pas cherché à provoquer qui que ce soit, mais il faut dire les choses telles qu’elles sont, je vais pas nier les choses réelles. Y’a des gens qui n’ont rien fait et ces gens-là, on les accuse et on les a mis en prison, ces gens-là, ils ont des femmes, des enfants. On a vu comment ils étaient dévastés ».
Mais les tensions se sont accentuées après la tentative d’intervention de l’avocate de Salah Abdeslam, Me Ronen. Le président irrité a lancé aux avocats de la défense : « C’est moi ici qui fait la police de l’audience. On n’est pas à l’Assemblée nationale ici ! ».
Dernière question pour Me Josserand-Schmidt qui regrette ne pas avoir « appris grand-chose cet après-midi » : « Est-ce que vous comprenez que ce soit assez violent pour des victimes de ne pas pouvoir avancer dans l’explication ? »
- « Je comprends, bien sûr que je comprends »
- « Et on ne peut pas faire mieux ? »
- "Moi non, y’a des réponses qu’ils cherchent que je n’ai pas. Voilà, c’est pas moi qui ai décidé de faire la guerre, qui ai décidé de faire tout ça. J’ai été embarqué dans tout ça parce qu’à un moment donné j’ai choisi mon camp. J’aurais préféré que ça ne se passe pas, mais c’est arrivé à cause de ceux qui ont décidé de faire la guerre. Pourquoi ne pas avoir laissé des gens vivre leur religion en paix ?
Une avocate des parties civiles, Me Josserand-Schmidt souligne que lors de son premier interrogatoire après son interpellation en 2016, Salah Abdeslam avait dit aux enquêteurs qu’il avait loué des voitures et des hôtels pour « aider son frère Brahim ». Aujourd’hui pourtant à l’audience, il refuse catégoriquement de donner les noms – des vivants ou des morts – qui ont pu lui demander de participer à la préparation des attentats. Pourquoi alors, avoir évoqué son frère Brahim en 2016 ? « Je sais pas, je peux pas répondre à cette question », balaye l’accusé.
« Le jour de mon arrestation – je voulais pas en parler mais… – j’ai été blessé par balle, on m’a emmené dans un endroit où on m’a tabassé, après on m’a amené à l’hôpital, on m’a anesthésié, anesthésie générale, on m’a opéré, on m’a réveillé et on m’a amené à l’interrogatoire. Donc j’étais un peu à l’ouest pendant cet interrogatoire », justifie le jeune homme.
Une question de Sylvie Topaloff a mis le feu aux poudres. Question gênante pour Abdeslam puisque l’avocate de la partie civile a souligné que l’accusé ne reconnaissait que deux convois sur cinq. Coïncidence, les convois que Salah Abdeslam ne reconnaît pas sont ceux qui ont amené en Belgique tous les terroristes impliqués le soir du 13 novembre 2015.
« Les convois n°2 et n°4, vous ne pouvez pas les contester. Mais, est-ce que ce n’est pas aussi une façon pour vous de minimiser votre rôle ? Ça vous implique moins car on ne pourra pas dire que vous êtes allé chercher les terroristes du Bataclan ? », demande l’avocate Réponse cinglante d’Abdeslam : « C’est bon vous avez accouché ? Vous avez terminé ? ». Le président intervient et coupe court immédiatement : « Vous pouvez répondre ou ne pas répondre mais vous pouvez rester poli ! Ce n’est pas possible là ! ».
« Vous avez ce mot à la bouche : J’assume. Vous en avez une drôle de définition. Vous pouvez comprendre que c’est difficile pour les victimes d’entendre que ces convois vous les faites pour aller chercher de pauvres réfugiés qui fuient la guerre en Syrie ? », s’étonne l’avocate. L’accusé lui répond : « Je suis allé chercher des personnes, c’est ça que j’assume. Mais maintenant je vais pas dire des choses que j’ai pas faite. Je dis la vérité, maintenant si on veut pas me croire, je peux rien faire ».
La magistrate du PNAT relance l’accusé sur ce sujet, en rappelant que le convoi réalisé lors du 4e voyage d’Abdeslam pour ramener plusieurs de ses coaccusés (Osama Krayem ou Sofien Ayari par exemple) a duré de très longues heures. « J’étais pas dans un état d’esprit où j’étais zen et où je voulais discuter de tout et de rien, j’étais un peu stressé, je roule sans arrêt et la seule chose dont j’ai envie, c’est de terminer ça sans me faire arrêter. On parle pas beaucoup dans ces situations-là », répète-t-il.
Face aux questions d’une des magistrates du parquet national terroriste (PNAT), Salah Abdeslam s’irrite et provoque. Le président, Jean-Louis Périès intervient : « Arrêtez votre provocation ! ». Depuis le début de l'audience, les magistrats gardent leur calme, parlent d'un ton posé. Un exercice pas toujours évident face au ton utilisé par Abdeslam.
L’une des magistrates tente d’en savoir un peu plus sur le trajet en voiture. « Vous ne parlez pas avec vos frères pendant ces vingt-six heures ? », demande-t-elle. Abdeslam assure que leurs échanges ont été très limités : « A cette époque-là, je me souviens que ces personnes-là vivaient dans le territoire de l’EI, ça, je peux le confirmer. C’est ceux qui se faisaient bombarder (…) ils m’ont pas donné de détails, ils m’ont pas dit qu’ils étaient combattants ».
« J’ai pas été chercher des personnes qui revenaient pour faire des attentats (…) et si c’était le cas, vous croyez que cette personne-là elle allait me dire : ouais, je vais faire ci, je vais faire ça ? Et si ces personnes-là avaient dans leur tête l’idée de faire un attentat, c’est qu’elles avaient une bonne raison de le faire », lance Salah Abdeslam.
Xavière Simeoni, la magistrate qui l’interroge lui demande s’il y serait allé s’il avait été informé de leurs projets avant d’y aller. Abdeslam hésite, puis répond : « Dans l’état d’esprit dans lequel j’étais à ce moment-là, je sortais, j’avais une fiancée, je pense pas que je serai parti les chercher, par peur peut-être ».
Réinterrogé sur la raison pour laquelle Salah Abdeslam a participé à un convoi et pas à tous, l’accusé s’emporte un peu. Il rétorque qu’il a déjà répondu à cette question. La magistrate lui dit qu’il n’était pas clair et qu’il était dans son intérêt de le refaire. « Alors je vais vous réexpliquer », concède-t-il calmement : « J’ai été cherché des personnes parce que c’étaient mes frères en islam, j’ai aidé mes frères quand j’en ai eu l’opportunité (…) j’ai eu le droit de choisir mon camp ».
L’une des magistrates lui demande pourquoi le jeune homme n’a pas pris avec lui son téléphone portable personnel lors des voyages effectués pour convoyer les membres de la cellule de la Hongrie à la Belgique. En revanche, il a reconnu l’usage de deux lignes dédiées : l’une utilisée pour communiquer avec le coordinateur en Belgique, l’une pour échanger avec les personnes qu’il devait récupérer. La magistrate lui demande si l’absence de sa ligne personnelle était une « précaution » ? « Non pas du tout. Mon téléphone, je le prends pas tout le temps avec moi ».
Salah Abdeslam a reconnu en début d’audience avoir convoyé des membres de la cellule terroriste lors d’un voyage réalisé en septembre 2015. Mais un premier véhicule avait été loué par ses soins quelques semaines plus tôt. Sur ce premier voyage, il explique : « Je savais pas à quelles fins ça allait servir, j’avais aucune information, j’ai juste loué ce véhicule pour une personne en qui j’avais une totale confiance ».
C’est au tour des magistrates assesseurs d’interroger Salah Abdeslam.
Un achat de bidons d’oxygène actif daté du 8 octobre 2015 a été relevé par les enquêteurs. Un papier avec l’adresse et les coordonnées du magasin où cet achat a été fait a été retrouvé dans une planque où se trouvait Abdeslam. « J’ai aucune information à vous donner sur ce point, je suis pas allé acheter ça », commente sobrement l’accusé.
Le ton entre le président de la cour d’assises et l’accusé oscille toujours entre provocation et badinage. Interrogé sur un nouveau voyage et une autre location réalisés par Abdeslam en direction d’Ulm pour récupérer d’autres membres de la cellule djihadiste, l’homme refuse toujours d’évoquer les commanditaires et organisateurs.
- « Qui vous a demandé de le faire ? C’est la même personne ? »
- « No comment »
- « Cette personne avait le moyen de vous joindre rapidement ? »
- « Je répondrai pas à cette question »
- « Vous l’avez rencontré où cette personne ? Dans un bar ? Les Béguines ? »
- « Vous auriez dû faire enquêteur, Monsieur le président »
La position de Salah Abdeslam devient de plus en plus inconfortable. Il refuse de donner les noms des organisations, de ses interlocuteurs et refuse d’endosser certains préparatifs. « Quand je parle pas, ça satisfait personne et quand je parle, c’est la même chose », souffle l’accusé. « Je vais pas commencer à dénoncer les gens. Je comprends pas où vous voulez en venir, c’est pas parce que je veux dénoncer personne qu’il faut tout me le mettre sur le dos ! », s’emporte Abdeslam. « Les personnes qui ont fait ça sont plus là, vous le savez, vous l’avez dit vous-même. Faut que les gens aient ça dans leur tête. Ils veulent comprendre que moi je suis responsable de la mort de 130 personnes, mais c’est pas la réalité, c’est pas ce qu’il s’est passé », conclut-il.
L’accusé accepte de répondre aux questions mais refuse catégoriquement de donner les noms des organisateurs des missions qui lui ont été confiées à l’été 2015 et en septembre. « Je me souviens plus, ça fait six ans », lance parfois Abdeslam lorsque les questions du président se font trop précises.
« Le premier voyage qui a été fait a permis de savoir comment ça se passait sur la route etc. Et après quand on m’a proposé de faire ce voyage-là on m’a expliqué que c’était mieux d’avoir une fausse carte d’identité si je me faisais contrôler », détaille l’accusé. « D’ailleurs ça a servi », commente Abdeslam. Le président abonde puisque, effectivement, son véhicule a été contrôlé sur la route de l’Autriche.
Depuis le début de son interrogatoire ce mardi, Salah Abdeslam refuse de dire qui lui a donné des instructions. Tout comme il refuse d’expliquer qui est à l’origine du financement de la location des voitures. « C’est de l’argent qui vient de quelque part, que quelqu’un m’a donné », dit juste Abdeslam. « Celui qui vous a demandé de faire ça, j’imagine ? », tente le président. « Vous imaginez bien », répond Abdeslam
Le 8 septembre 2015, Salah Abdeslam loue une Mercedes en Belgique et roule en direction de l’Allemagne, puis la Hongrie. Après la Hongrie, direction l’Autriche. Pendant ce trajet, le conducteur sera contrôlé sur une aire d’autoroute. « Deux individus qui ont de fausses cartes d’identité belge » se trouvent dans le véhicule avec lui. Il s’agissait en réalité de Najim Laachraoui et Mohamed Belkaid, deux membres de la cellule.
- « Vous reconnaissez l’avoir loué et ramené ces deux personnes ? »
- « Ouais c’est ça », répond Abdeslam
- « Qui vous a demandé de faire cela ? », demande le président
- « No comment ».
Le 4 septembre 2015, Salah Abdeslam s’est rendu en banlieue parisienne, à Saint-Ouen l’Aumône (Val-d’Oise) pour acheter 12 boîtiers de récepteurs déclencheurs de feux d’artifice dans un magasin spécialisé. « Je reconnais, c’est moi qui ai acheté ce matériel pour faire péter des feux d’artifice », assure l’accusé. Le président souligne qu’il n’a pas acheté de feux d’artifice pourtant avec ces boîtiers. « Ils étaient déjà achetés », assure Abdeslam. Pour les enquêteurs, ces achats ont pu être destinés à être utilisés par la cellule terroriste pour la confection d’explosifs.
Jean-Louis Périès revient sur des déclarations de Salah Abdeslam lors de son dernier interrogatoire en février dernier. Selon le président, l’accusé savait que son frère Brahim était revenu en Europe pour agir au nom de Daesh. Salah Abdeslam dément catégoriquement et lance au magistrat : « Arrêtez monsieur le président ». Le ton agace Jean-Louis Périès qui lui fait savoir. « Ne vous sentez pas agressé, j’ai l’impression que vous êtes susceptible là ! », répond avec aplomb l’accusé.
Malgré le refus de Salah Abdeslam de donner les identités des individus récupérés par ses soins à la fin de l’été 2015, le président Jean-Louis Périès insiste et lui soumet des propositions. « No comment », rétorque le natif de Molenbeek. Le magistrat tente : « Dîtes la vérité, ça ira plus vite ». Abdeslam : « Non je ne le dirai pas »
Salah Abdeslam refuse catégoriquement de donner les noms des personnes qui ont fait partie des convois entre l'Europe de l'est et la Belgique. « Ça fait partie de mes principes, même s'ils ne font plus partie de ce monde, je ne balance pas », justifie l'accusé.
L’accusé refuse toutefois de donner le moindre nom des personnes convoyées entre l’Allemagne et la Belgique et la Hongrie et la Belgique. « Parmi les noms cités là, certains sont dans le box. C’est à eux de reconnaître s’ils étaient dans la voiture », justifie Salah Abdeslam.
La toute première question que pose le président de la cour à Salah Abdeslam porte sur la location et l’utilisation d’un véhicule BMW entre le 24 août et 5 septembre 2015. On lui reproche d’être allé récupérer dans la région de Budapest deux personnes qui seront identifiées plus tard comme Bilal Hadfi et Chakib Akrouh. Tous deux sont membres du commando du 13-Novembre 2015 et sont morts ce soir-là. Salah Abdeslam le conteste formellement : « J’ai bien loué ce véhicule, je l’ai utilisé en revanche je conteste être parti chercher ces deux personnes que vous avez citées (…) j’ai effectivement ramené certaines personnes mais il faut dire le contexte et pourquoi je l’ai fait. Ce sont mes frères en Islam, ils vivaient dans une zone de guerre ».
Le président démarre l’audience en remerciant toutes les parties d’accepter de continuer à porter le masque et ce malgré la fin des restrictions. « C’est plus sage », estime le magistrat qui a d’ores et déjà dû reporter l’audience à plusieurs reprises depuis le début du procès à cause de contaminations au Covid-19.
Depuis le début du procès, le président de la cour d’assises spécialement composée, Jean-Louis Périès, a découpé l’audience par ordre chronologique pour interroger les accusés. Aujourd’hui, c’est la troisième fois que Salah Abdeslam doit répondre aux questions de la cour.
Un premier interrogatoire, portant sur sa personnalité, a eu lieu le 2 novembre 2021. Le second portait sur sa radicalisation et son engagement religieux et s’est déroulé le 9 février dernier. À l’occasion de ce troisième interrogatoire, l’accusé devra répondre aux questions des magistrats et des avocats sur la « logistique » de la cellule terroriste mise en place entre août 2015 au 7 novembre 2015. Il est notamment reproché à Salah Abdeslam d’avoir convoyé certains membres des commandos arrivés de Syrie.
Osama Krayem est toujours absent. Le président procède aux sommations d’usage et suspend l’audience.
Salah Abdeslam, chemise à carreaux grise, est là. Lors des dernières audiences, le trentenaire avait refusé d’assister aux débats, comme l’un de ses coaccusés, le suédois Osama Krayem.