Procès des attentats du 13-Novembre : « Ils ont bien masqué leur jeu », estiment des proches des frères Abdeslam

COMPTE-RENDU La cour d’assises spécialement composée a entendu ce jeudi, deux des trois accusés qui comparaissent libre au procès des attentats du 13-Novembre, soupçonnés d’avoir aidé Salah Abdeslam dans sa cavale

Caroline Politi
Au procès des attentats du 13-Novembre, l'un des convoyeurs de Salah Abdeslam a été longuement interrogé
Au procès des attentats du 13-Novembre, l'un des convoyeurs de Salah Abdeslam a été longuement interrogé — Benoit PEYRUCQ / AFP
  • Le procès des attaques terroristes du 13 novembre 2015 s’est ouvert pour neuf mois, mercredi 8 septembre 2021, devant la cour d’assises spécialement composée de Paris.
  • Les accusés sont interrogés tour à tour sur leurs parcours avant la commission des attaques.
  • Hamza Attou, qui comparaît libre sous contrôle judiciaire, est soupçonné d’avoir aidé Salah Abdeslam à fuir la France le soir des attaques.

A la cour d’assises spécialement composée, à Paris,

Ils sont ceux que Salah Abdeslam a appelés à la rescousse le soir du 13-Novembre.  Hamza Attou, d’abord. Avec Mohammed Amri, il a fait un aller-retour à Paris la nuit des attaques pour aller récupérer le djihadiste. Si ce dernier leur avait indiqué au bout du fil être simplement tombé en panne dans la capitale française, il a reconnu, sur le trajet pour rentrer à Molenbeek, en Belgique, qu’il faisait partie des commandos mais que sa ceinture explosive n’avait pas fonctionné. Ali Oulkadi, lui, a récupéré Salah Abdeslam à Bruxelles et l’a conduit jusqu’à une planque. Tous deux comparaissent libre, sous contrôle judiciaire. Aucune charge criminelle n’a été retenue contre le premier qui est jugé pour le délit de « recel de terroriste ». Ali Oulkadi, dont l’ADN a été découvert dans une des caches, comparaît également pour « association de malfaiteurs terroriste criminelle ».

Mais de la cavale de Salah Abdeslam, il a été très peu question ce jeudi. La cour d’assises spécialement composée s’est attachée à mettre en lumière le processus de radicalisation des frères Abdeslam et l’atmosphère qui régnait dans  le café des Béguines, ce petit bar de Molenbeek tenu par Brahim, l’aîné et devenu le QG d’une partie du commando du 13-Novembre. Car l’un comme l’autre fréquentaient assidûment les lieux, considéraient Brahim – plus que Salah – comme un « ami ». Mais tous deux l’assurent,   jamais ils ne se sont doutés de ce qui se tramait. « A aucun moment, Brahim n’a dit qu’il allait faire du mal à quelqu’un, qu’il allait commettre un attentat », insiste Hamza Attou, aujourd’hui âgé de 27 ans.

« Il ne priait pas »

Cet homme aux traits fins, cheveux courts en brosse, décrit le terroriste du Comptoir Voltaire, comme un « grand frère » – ils avaient dix ans d’écart – autant que comme un « patron ». Depuis 2013, Hamza Attou « travaille » au café, chargé d’écouler le shit que lui procure Brahim Abdeslam. S’il est moins proche de Salah Abdeslam, il joue néanmoins régulièrement aux échecs, au Bingo ou aux cartes avec ce dernier. Malgré cette proximité, il affirme n’avoir jamais décelé le moindre signe de radicalisation chez l’un comme chez l’autre. « Brahim ne pratiquait pas du tout la religion, c’est pour ça que je n’ai rien vu. Il ne priait pas. » Au contraire, assure-t-il, l’homme fumait des joints, écoutait de la musique. Preuve en est : en février 2015, les deux frères l’ont accompagné à un concert du rappeur Lacrim. « Ils ont bien masqué leur jeu… »

Quid des vidéos de propagande de l’État islamique qui étaient visionnées sur l’ordinateur portable, au beau milieu du café ? Hamza Attou reconnaît avoir vu les frères Abdeslam regarder des vidéos sur YouTube, mais jure qu’il ignorait leur contenu. Contrairement à lui, Ali Oulkadi, cheveux ras, pull rayé gris, se souvient bien de ces visionnages. Des vidéos de propagande ou d’exaction que lui-même a parfois regardées, sans jamais y adhérer. Le trentenaire a commencé à fréquenter le café des Béguines fin 2013-début 2014 avant de rapidement en devenir un habitué. « Le temps passant, j’ai créé des affinités avec Brahim Abdeslam. Je m’entendais bien avec lui, je l’aimais bien », confie-t-il, droit comme un « i » à la barre, les mains jointes dans le dos. Au point de considérer Brahim Abdeslam comme un « très bon ami ».

Des paroles « de plus en plus crues »

L’homme constate pourtant, dès le début de l’année 2015, un changement dans le comportement du gérant du café. Ses paroles deviennent « de plus en plus crues ». Il commence par affirmer qu’un musulman n’a pas le « droit de vivre sa religion en Belgique », critique la pratique religieuse de leurs parents, assure qu’ils iront en enfer, se met progressivement à justifier les attentats-suicides. Pour autant, Ali Oulkadi le reconnaît, il ne s’est pas vraiment inquiété. « Pour moi, il était dans un délire, c’était passager, car ses actes contredisaient ses paroles », explique-t-il, rappelant qu’il fume des joints, écoute de la musique à la mode. De même, lorsqu’il l’accompagne fin janvier 2015 à l’aéroport pour ses soi-disant vacances en Turquie, jamais, assure-t-il, il n’a envisagé que Brahim Abdeslam avait rallié la Syrie. « Il est marié, il part tout seul 15 jours en Turquie sans sa femme et vous trouvez ça normal ? », insiste le président. « Moi je ne le ferais pas, mais des amis, si. »

« C’est extrêmement compliqué d’identifier un processus de radicalisation, tant il existe de biais », assure Olivier Vanderhaegen. L’homme, entendu comme témoin, était responsable de la prévention du radicalisme violent à Molenbeek. A la barre, il explique que pour procéder à l’évaluation d’Hamza Attou - chez qui il n’a décelé « aucun élément pertinent » pouvant laisser penser à une radicalisation - il s’est appuyé sur une dizaine d’éléments : son parcours, son rapport à la religion évidemment, mais également des « failles biographiques », « un capital guerrier », ou encore une vision du monde. Quant au café des Béguines, l’homme qui pourtant travaillait sur cette thématique assure que s’il savait que le lieu était connu pour trafic de drogue, lui n’avait jamais entendu parler de la radicalisation de ses gérants ou de ses habitués.