« Cold cases » : « Le nouveau pôle doit permettre à ces dossiers de rester judiciairement vivants », estime Eric Dupond-Moretti

EXCLUSIF Ce nouveau pôle judiciaire sera lancé le 1er mars et installé à Nanterre, annonce le ministre de la Justice dans une interview accordée à « 20 Minutes »

Propos recueillis par Hélène Sergent
— 
Eric Dupond-Moretti, le 10 janvier 2022, au ministère de la Justice à Paris.
Eric Dupond-Moretti, le 10 janvier 2022, au ministère de la Justice à Paris. — Romuald Meigneux / Sipa pour 20 Minutes
  • La loi « renforçant la confiance de l’institution judiciaire », adoptée définitivement le 18 novembre dernier, prévoit la création d’un pôle chargé d’enquêter sur les affaires de crimes en série et non élucidés.
  • Très attendu par les familles des victimes, il verra le jour le 1er mars prochain à Nanterre, annonce le garde des Sceaux dans un entretien exclusif accordé à 20 Minutes.
  • Trois juges d’instruction, un procureur adjoint, trois greffiers et deux juristes assistants composeront, dans un premier temps, ce nouveau pôle.

L’attente était particulièrement forte. Réclamé  depuis des décennies par certains avocats et familles de victimes, un pôle entièrement consacré aux  crimes en série et aux affaires non élucidés sera installé dès le 1er mars prochain à Nanterre. Dans un entretien accordé à 20 Minutes, le ministre de la Justice,  Eric Dupond-Moretti détaille les missions et le périmètre d’action confiés à cette nouvelle entité judiciaire.

Créé par la loi «renforçant la confiance dans l’institution judiciaire », ce pôle national sera composé dans un premier temps de trois juges d’instruction, d’un procureur adjoint, de trois greffiers et deux juristes assistants. Selon le ministre, au moins 241 dossiers en cours pourraient être confiés à ce nouveau pôle.

Samedi 8 janvier, une marche en hommage à Estelle Mouzin, disparue il y a dix-neuf ans, a eu lieu à Guermantes. Son père, Eric Mouzin vous a récemment écrit pour réclamer la création d’un pôle national consacré aux « cold case ». Quand ce dispositif verra-t-il le jour ?

Ce pôle dédié aux crimes en série et non élucidés est justement prévu par la loi renforçant la confiance dans l’institution judiciaire que j’ai portée devant les parlementaires et qui a été promulguée le 22 décembre dernier. Nous avons souhaité aller vite, il sera donc lancé le 1er mars prochain et un décret d’application sera publié cette semaine.

Pourquoi ces affaires nécessitent-elles, selon vous, la création d’un tel outil ?

Dans les cabinets d’instruction, les juges exercent pour un temps limité et sont ensuite remplacés par des collègues. On voit ainsi dans les très longs dossiers, les dossiers complexes, trois ou quatre magistrats qui se succèdent.

Et plus les dossiers sont anciens, moins ils correspondent à une forme d’actualité judiciaire. Ce n’est pas un reproche mais un constat : quand un nouveau juge arrive dans un cabinet, il a des urgences à gérer.

Le temps qui passe est le plus mauvais ennemi de l’élucidation d’une affaire, parce que parfois les témoins vont vivre ailleurs, parce que la mémoire s’estompe, pour mille raisons. De mon expérience d’avocat, j’ai pu constater que la résolution de ce type de crime était possible grâce à l’opiniâtreté d’un enquêteur ou d’un magistrat et surtout aussi grâce à la coordination entre différents services, notamment dans les affaires où l’auteur a commis des crimes en différents lieux. Sans ce travail de connexion entre tel crime et tel autre, sans analyse du mode opératoire de l’auteur, on ne parvient pas à résoudre les affaires complexes. Or, pour les victimes, pour les familles, ces vieux dossiers, ce sont  des souffrances toujours vives et à mesure que le temps passe, elles peuvent avoir le sentiment, au fond, qu’on n’y arrivera plus. Ce pôle doit permettre à ces dossiers de rester vivants judiciairement et d’offrir une réponse aux victimes.

Où sera-t-il implanté ?

Il m’est apparu nécessaire de créer un pôle unique, national, afin de concentrer les efforts, de les centraliser et de les coordonner. L’implantation de ce pôle à Paris n’était pas la meilleure solution car le Parquet national financier (PNF) et le Parquet national antiterroriste (Pnat) sont déjà rattachés à cette juridiction, il sera donc implanté sur la cour d’appel de Versailles à Nanterre.

Quelles affaires pourront revenir à cette nouvelle équipe ?

Les affaires non élucidées après 18 mois d’investigations infructueuses pourront être transmises au pôle. Mais cela ne veut pas dire que toutes les affaires qui ont duré 18 mois sans que l’on parvienne à trouver trace de l’auteur feront l’objet d’un dessaisissement au profit de ce pôle. Des affaires sont parfois résolues deux ans après les faits parce qu’il manquait jusqu’ici des éléments techniques ou des interrogatoires à mener et, contrairement aux Pnat pour les affaires de terrorisme, ce pôle n’aura pas de compétence exclusive.

On dénombre aujourd’hui en France 173 crimes non élucidés pour lesquels la justice est saisie et 68 procédures de crimes sériels. Cela représente au total 241 dossiers et certains sont très anciens. Je précise que les victimes pourront saisir ce pôle mais pas directement. Elles pourront demander au parquet que leur affaire – ou leurs affaires s’il y a plusieurs familles concernées – soient examinées par ce pôle.

Combien de personnes seront amenées à intégrer ce dispositif ?

Trois juges d’instruction intégreront ce pôle, un premier vice-président et deux vice-présidents. Le premier vice-président sera préfigurateur, c’est-à-dire qu’il aura la charge de mettre en place ce pôle. Au parquet, il y aura un magistrat et ils seront accompagnés par trois greffiers et deux juristes assistants. Ensuite, un dialogue s’engagera avec la direction des services judiciaires et des ajustements seront possibles en fonction de la montée en puissance du pôle. Toutes et tous seront bien détachés à 100 % sur ces dossiers. Un appel à candidatures va être lancé dans les prochains jours et j’adresserai ensuite des propositions au Conseil supérieur de la magistrature (CSM).

À quels services enquêtes ces enquêtes seront-elles confiées ?

Les magistrats instructeurs auront toute la liberté de poursuivre avec les enquêteurs initiaux ou de saisir un service spécialisé dans les crimes non élucidés, comme la division Diane à Pontoise. Une co-saisine avec les enquêteurs initiaux et les services spécialisés est aussi tout à fait possible.

La question de la conservation des scellés a parfois été centrale dans la résolution de certaines affaires. La création de ce pôle va-t-elle s’accompagner d’un dispositif spécifique à ce sujet ?

Il est vrai que la mauvaise conservation des scellés est une des causes de déperdition de la preuve. Il va de soi que si le pôle apporte un éclairage nouveau à ces affaires, une attention bien particulière sera apportée à la fois à la conservation de ces pièces mais aussi à leur utilisation et à leur exploitation.