Attentats du 13-Novembre : Au procès, les proches des terroristes racontent les « mensonges » de Daesh

COMPTE-RENDU Ce mercredi, la cour d’assises spéciale a entendu des membres de la famille Clain et l’ex- petite amie d’un terroriste du Bataclan

Hélène Sergent
La soeur et la nièce des frères Clain, qui ont revendiqué les attentats du 13- novembre, ont été entendues par la cour d'assises spéciale.
La soeur et la nièce des frères Clain, qui ont revendiqué les attentats du 13- novembre, ont été entendues par la cour d'assises spéciale. — WELAYAT RAQA / AFP
  • Le procès des attentats du 13-Novembre s’est ouvert le 8 septembre devant la cour d’assises spécialement composée. Vingt hommes comparaissent, parmi lesquels six sont jugés en leur absence.
  • A l’exception de Salah Abdeslam, les membres des commandos des attaques sont tous morts. La cour se penche néanmoins sur leur parcours en entendant leurs proches.

À la cour d’assises spécialement composée, à Paris,

Il aura fallu sept années à Jennifer Clain pour « prendre du recul ». À 30 ans, la nièce des deux djihadistes ayant revendiqué les attentats du 13 novembre 2015 parle désormais « à l’imparfait » quand elle évoque ses années passées en Syrie avec Daesh. Incarcérée à Beauvais (Oise) dans l’attente de son propre procès, la « revenante » a livré pour la première fois à un tribunal le récit de son séjour passé au sein de l’organisation terroriste. Sa mère, également interrogée ce mercredi par la cour d’assises spéciale, a, elle aussi, dénoncé le poids de « l’idéologie » radicale de ses frères Fabien et Jean-Michel Clain, et le « formatage » des terroristes de Daesh.

« Je cautionnais »

Arrivée en Syrie en juillet 2014 à l’âge de 23 ans avec ses quatre enfants et son mari, Jennifer Clain assure qu’elle n’a rien su de la préparation des attaques de Paris et Saint-Denis. « Je l’ai appris le lendemain ou le surlendemain. Avec mes oncles, on n’en a jamais parlé », a-t-elle précisé à la cour. À l’époque, la jeune femme réfute fermement l’implication de ses proches dans les attentats. « J’ai cru que les médias avaient grossi les faits et que mes oncles n’avaient absolument rien à voir là-dedans », confie-t-elle. Pourtant, depuis son installation à Raqqa, Jennifer Clain est témoin de la violence de l’organisation terroriste. Les vidéos des exactions commises par les djihadistes et mises en scène par la branche « média » du groupe pour lesquels ses oncles travaillaient, elle les a « pratiquement toutes vues », reconnait-elle.

Sans détour, elle explique qu’elle « cautionnait » : « Il y avait même des exécutions en pleine rue (…) La majeure partie des gens qui étaient là-bas approuvaient. En tout cas, au début ». Une dispute entre la jeune femme et ses oncles va toutefois fissurer la confiance qu’elle plaçait en eux. Le ton hésitant, Jennifer Clain raconte que deux de ses « connaissances », membres de Daesh, ont été arrêtées par le groupe terroriste. Ses oncles « pensaient qu’elles voulaient se rebeller », poursuit-elle. Au fil des mois, une scission s’opère parmi les étrangers venus rejoindre les rangs de l’État islamique. « Beaucoup de personnes, dont moi, avaient vu que Daesh n’était pas ce qu’il prétendait être. Certains dirigeants suivaient leurs propres intérêts, ça n’avait plus rien à voir avec Dieu », lâche-t-elle.

Des doutes et des mensonges

À la fin de l’année 2017, après trois années passées en Syrie, Jennifer Clain se décide à quitter le groupe djihadiste. Mais elle n’en dit pas un mot à ses oncles : « Je commençais à remettre en doute, c’était dangereux pour ma vie. » Le président Jean-Louis Périès l’interroge : « Ça fait penser à quel régime politique ? ». Elle réfléchit quelques secondes, puis lance : « Franchement, ça ressemble énormément au régime nazi. Même si à l’époque, je ne le voyais pas comme ça. » Emportant avec elle ses enfants, la « revenante » a été interpellée à la frontière turque avant d’être expulsée vers la France en septembre 2019 puis incarcérée.

Entendu en fin de journée par les magistrats, un autre témoin indirect de la vie menée sous le califat a décrit les « mensonges » des djihadistes. Kaltoum A., avait 16 ans lorsqu’elle a rencontré Foued Mohamed Aggad, l’un des trois terroristes du Bataclan. Le couple est séparé depuis plusieurs mois quand Aggad décide de rejoindre Daesh en Syrie. Refusant leur rupture, le jeune Strasbourgeois donne régulièrement des nouvelles à Kaltoum.

« Il était surveillé et il était obligé de faire croire que j’étais son épouse pour être autorisé à m’appeler », se souvient-elle. Pendant ses appels, Foued Mohamed Aggad livre une version idyllique du djihad : « Il me disait qu’il vivait dans une villa, qu’il mangeait super bien. » Un récit contredit par son propre frère, parti avec lui mais rapidement revenu en France : « Lui racontait à sa maman que dans la villa ils étaient 110, qu’ils mangeaient du pain et de l’huile et qu’ils servaient de larbins. »

Au fil des jours, Kaltoum recueille les confidences d’Aggad qui ne cache pas les activités du groupe djihadiste. L’étudiante, inquiète de se voir accusée de complicité, et décidée à rompre, coupe rapidement les liens : « C’était trop pour moi », souffle-t-elle. Elle change de numéro et n’aura plus jamais de contact avec Foued Mohamed Aggad. « J’ai essayé d’oublier. Jusqu’au jour où il est réapparu sur tous les écrans ».