Procès des attentats du 13-Novembre : Les timides excuses du directeur de l'Institut médico-légal face à la colère des familles
COMPTE-RENDU Bertrand Ludes, le directeur de l’Institut médico-légal de Paris, s’est excusé à la barre tout en rejetant la responsabilité des erreurs commises lors de l’identification des victimes
- Le procès des attaques terroristes du 13 novembre 2015 s’est ouvert pour neuf mois, mercredi 8 septembre 2021, devant la cour d’assises spécialement composée de Paris.
- Ce jeudi, Bertrand Ludes, directeur de l’Institut médico-légal (IML) de Paris était entendu à la barre et s’est excusé auprès des familles de victimes.
- Beaucoup de parties civiles ont déploré l’accueil glacial de l’IML et les erreurs commises lors des opérations d’identifications.
A la cour d’assises spécialement composée, à Paris,
Ce jeudi devant la cour d’assises spécialement composée de Paris, deux « mondes » se sont fait face. D’un côté, l’univers froid et chirurgical de l’Institut médico-légal (IML) et de l’autre, celui dévasté des familles des victimes des attentats du 13 novembre 2015. La première rencontre, survenue dès le lendemain des attaques terroristes, avait été violente.
Un « traumatisme sur le traumatisme, une douleur sur la douleur », a détaillé Me Jean Reinhart, avocat de plusieurs parties civiles qui a lui-même perdu son neveu au Bataclan. L’incertitude quant à l’identification de leur proche, l’attente pour retrouver le corps des victimes décédées et le temps accordé aux familles pour cette confrontation avec la mort de leur enfant, de leur sœur ou de leur conjoint ont été pour nombre de parties civiles source d’une souffrance toujours vivace, six ans après.
Un temps contraint
Le témoignage de Bertrand Ludes, directeur de l’Institut médico-légal (IML) était donc particulièrement attendu par les familles qui ont foulé le sol de cette morgue à l’automne 2015. Mais le professeur, qui dirigeait les équipes chargées des autopsies, s’est refusé à tout acte de contrition. D’emblée, il indique que « l’identification des victimes relève des forces de police ». « Les corps ont été amenés avec un procès-verbal qui précise soit l’identité du défunt, soit une identité présumée ou alors l’absence d’identité », ajoute l’homme en costume gris et cheveux poivre et sel. Puis il coupe court : « Je n’aborderai pas cette question dans mon exposé ».
À l’époque des faits, Bertrand Ludes a deux missions, explique-t-il : rechercher les causes des décès et procéder à la description des corps. L’équipe de l’IML dispose de six jours pour réaliser toutes les opérations de médecines légales : autopsies, scanners, examens dentaires ou radio. « La première victime est arrivée le 14 novembre à 6 heures du matin et la dernière le même jour vers 10h50 », poursuit le Professeur Ludes. Au total, 123 corps entiers et 17 fragments de corps ont été admis ce jour-là. Contraintes par le temps, les équipes de l’IML décident de ne pas procéder systématiquement aux autopsies. Si cela avait été le cas, les opérations de médecine légale auraient duré entre « 15 jours et 3 semaines » selon le témoin.
« Je suis désolé et confus »
Si l’IML a bénéficié de renforts techniques et médicaux, la psychologue clinicienne, elle, était seule pour assister les familles lors de la présentation des corps. Un moment douloureux et délicat qu’elle répétera à 156 reprises, dans la seule salle dédiée et où l’entourage se retrouve séparé de son proche par une baie vitrée. « Il ne s’agit pas de la mise en bière, les corps sont encore sous scellés judiciaires », justifie le témoin. Me Reinhart attaque : « Les familles avaient droit à 5 minutes pour voir le corps. Ça vous paraît supportable ? ». « Si ça s’est passé comme ça, je suis vraiment désolé et confus », finit par lâcher Bertrand Ludes.
« Entre le monde qui est le vôtre et celui des familles, il y a un écart extrêmement lourd »
Puis s’enchaînent les récits de la violence subie par plusieurs familles. « Je veux parler de Lamia Mondeguer », intervient Me Mehana Mouhou. « La famille est arrivée pour voir le corps le 18 au matin, une psychologue leur dit : Préparez-vous à ne pas reconnaître votre Lamia ». Mais lorsque la famille arrive, le corps qui leur est présenté n’est pas celui de leur fille. « Vous imaginez le choc ? », demande l’avocat. Bertrand Ludes ne bronche pas, et se défend : « Pour moi l’erreur vient du fait que c’est un corps qui est arrivé avec une fausse identité à l’institut, une identité erronée ». Interrogé sur l’envoi tardif des rapports d’autopsie – intervenus pour certains plusieurs mois après les attentats – Me Reinhart s’agace : « Entre le monde qui est le vôtre et celui des familles, il y a un écart extrêmement lourd ».
Des réponses qui n’apaisent pas la colère
Malgré le ton froid et distant affiché par l’expert, son témoignage a permis de répondre à des questions fondamentales pour les familles des victimes. Comment est mort leur proche ? Est-il décédé sur le coup ? Se référant systématiquement aux documents entreposés dans son épais classeur, Bertrand Ludes a tenté d’éclairer les demandes des parties civiles. L’avocate de la famille d'unjeune homme, atteint à 5 reprises au Bataclan café, l’interroge : « Ses parents tentent de reconstituer les derniers instants de la vie de leur fils. Pouvez-vous donner des précisions sur ses derniers instants ? ». Méthodiquement, Bertrand Ludes répond : « Nous avons noté qu’il y aurait eu des manœuvres de réanimation […] Il y a eu une atteinte au thorax et à l’abdomen, donc des sources d’hémorragie multiples ».
À la barre, l’homme a également balayé les théories diffusées après les attentats faisant état d’actes de torture. L’expert est formel, seules des plaies par balles ont été constatées sur les corps des victimes. Mais ces réponses n’ont pas suffi à apaiser la colère des parties civiles. Philippe Duperron, président de l’association 13onze15 a perdu son fils Thomas au Bataclan. « Lorsque le corps de Thomas a été transporté à l’IML, on nous a fait attendre toute la journée du lundi en nous disant "Vous allez peut-être pouvoir le voir". Finalement on nous a dit "Vous n’allez pas pouvoir le voir parce que l’Institut ferme à 18 heures". […] On aurait aimé un petit mot de compassion et d’empathie de la part du professeur Ludes. Je ne l’ai pas vraiment entendu. »