Attentats du 13-Novembre : « Pendant une heure, on n’a pas su que des terroristes étaient encore au Bataclan »

LES COULISSES DE L'ASSAUT DU BATACLAN (2/3) Voilà déjà une heure que les policiers d'élite sont entrés dans le Bataclan, ce soir du 13 novembre, lorsqu'ils découvrent que les terroristes sont retranchés avec des otages. L'ancien chef de la BRI, Christophe Molmy, et le numéro 2 du Raid, Eric Heip, racontent

Caroline Politi
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La BRI a mené l'assaut du Bataclan, avec le Raid en appui
La BRI a mené l'assaut du Bataclan, avec le Raid en appui — KENZO TRIBOUILLARD / AFP
  • Le procès des attaques terroristes du 13 novembre 2015 s'ouvre pour neuf mois, mercredi 8 septembre 2021, devant la cour d'assises spéciale de Paris.
  • A cette occasion, 20 Minutes vous propose une série de trois articles sur les coulisses de l’assaut du Bataclan, puis de celui de Saint-Denis cinq jours plus tard, pour déloger Abdelhamid Abbaoud et Chakib Akrouh du commando des terrasses.
  • Dans ce second épisode, les policiers, après avoir évacué la fosse du Bataclan, progressent à l'étage. Au bout d'une heure, environ, ils tombent sur la porte derrière laquelle sont retranchés les terroristes.
  • L'assaut, dans un couloir où se trouvent également des otages, est particulièrement périlleux.

Le premier épisode de notre série sur les coulisses des assauts du 13 novembre s’achevait alors que les policiers d'élite venaient de pénétrer dans la fosse du Bataclan.

Dans la grande salle du Bataclan, un silence de plomb règne depuis 22h20. Pendant trente minutes, ce soir du  13 novembre 2015, les trois terroristes ont vidé 15 chargeurs – près de 450 munitions – en direction des spectateurs, tuant 90 personnes. L’intervention d’un commissaire de la BAC qui parviendra, seul avec son chauffeur, à abattre l’un des tireurs, a fait cesser la fusillade. Mais les unités d’intervention qui viennent d’arriver – la brigade de répression et d’intervention (BRI) d’abord, qui coordonne l’opération, et le Raid, en appui – ignorent qu’une prise d’otage est en cours au premier étage. « Pendant une heure, on n’a pas su que les terroristes étaient encore sur les lieux. Il n’y avait pas un cri, pas une revendication », se remémore Christophe Molmy, qui dirigeait alors la BRI. Avec Eric Heip, à l’époque numéro 2 du Raid, il a accepté de se replonger pour 20 Minutes sur les conditions cette intervention, sans aucun doute la plus périlleuse de sa carrière.

L’urgence est d’évacuer les victimes valides et de secourir les blessés mais, pour ce faire, il faut s’assurer qu’aucun tireur, aucun explosif n’est caché dans la salle. Pendant 15 minutes, les hommes de la BRI fouillent chaque fauteuil, examinent chaque recoin de la fosse. « On a entendu des critiques sur la durée de l’opération mais il faut bien se rendre compte que non seulement les coups de feu étaient terminés et, surtout, on savait qu’ils avaient des explosifs. Il fallait évacuer le maximum de personnes au cas où une bombe explose », insiste Eric Heip. Les spectateurs valides sont fouillés – pour vérifier qu’un terroriste ne se cache parmi eux – puis conduit à l’extérieur, les blessés évacués pour être pris en charge. Peu à peu, les colonnes de la BRI et du Raid progressent dans les étages. A chaque pas, les policiers découvrent des spectateurs cachés, ici dans des placards, là dans les toilettes ou les faux plafonds. Autant de personnes qu’il faut évacuer, secourir lorsqu’elles sont blessées, fouiller aussi.

« Ce petit couloir, c’est la pire des configurations »

A mesure que le temps passe, le chef de la BRI se convainc que les tireurs ont pris la fuite. Mais à 23h15, alors que ses hommes tentent d’ouvrir une porte, celle-ci résiste. Les terroristes ont ordonné à un de leurs otages – ils sont une dizaine – de bloquer la porte. « Ce petit couloir, avec des otages au milieu et les terroristes au fond, c’est la pire des configurations, insiste Christophe Molmy. Dans un avion ou un train, il y a des sièges pour se cacher. Là, il n’y a rien. »

Les tentatives de négociation sont vaines. L’assaut est inévitable, mais le risque est immense. « On avait tous conscience qu’il y avait une forte chance pour qu’une partie de la colonne se fasse couper en deux », insiste l’ancien chef de la BRI. Une deuxième colonne d’assaut est déjà positionnée, dans l’hypothèse où la première serait entièrement décimée.

Christophe Molmy, l'ancien chef de la BRI, qui a mené l'assaut du Bataclan
Christophe Molmy, l'ancien chef de la BRI, qui a mené l'assaut du Bataclan - NICOLAS MESSYASZ/SIPA

« Que se serait-il passé si j’avais perdu des hommes ou tous les otages ? »

La peur, Christophe Molmy, confie l’avoir ressentie pour ses hommes, plus que pour lui. « On prend des décisions objectives mais, ensuite, il faut les assumer moralement. Que se serait-il passé si j’avais perdu des hommes ou tous les otages ? » Mais ce soir-là, il n’y a aucune bonne solution, il faut choisir la moins mauvaise. Et chaque minute compte, puisque à tout moment, les terroristes peuvent décider d’exécuter les otages ou recevoir l’ordre d’activer leurs gilets d’explosif. L’assaut est lancé à 0h18. « Aujourd’hui encore, quand je vois cette heure marquée sur mon réveil, je repense à ce moment », livre l’ancien chef de la BRI.

Retranchée derrière un large bouclier, la colonne casse la porte et progresse face aux tirs nourris des deux terroristes. Un à un, ils enjambent les otages, les font passer derrière le bouclier puis les tirent vers l’arrière jusqu’à la sortie. Les balles de kalachnikov fusent, s’écrasent dans le bouclier, rebondissent sur les murs et le plafond. Un policier de la colonne est blessé par le ricochet d’une balle qui entre dans sa main et remonte dans le bras. Christophe Molmy le croit mort. Mais l’opération continue jusqu’à ce que les deux terroristes soient abattus.

L'attaque du Bataclan le 13 novembre 2015 a fait, à elle seule, 90 morts.
L'attaque du Bataclan le 13 novembre 2015 a fait, à elle seule, 90 morts. - CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

« Il y a l’entraînement et une part de chance aussi »

Sur le plan technique, l’assaut est irréprochable. Les otages ont été sauvés, le pronostic vital du policier blessé n’est pas engagé. « Il y a l’entraînement et une part de chance aussi. Si les terroristes s’étaient fait exploser, si les otages ne s’étaient pas allongés, ça ne se serait pas terminé comme cela », assure le policier d’élite. Mais le nombre de morts et de blessés balaie toutes les autres considérations. « On a vu des centaines d’innocents tués, mutilés, on a marché dans un bain de sang. Même si l’opération est réussie, même si les terroristes sont neutralisés, qu’on a fait un énorme boulot, on ne peut en tirer aucune satisfaction », insiste Eric Heip. L’ancien numéro 2 du Raid, tout comme son homologue de la BRI, confie avoir été profondément marqué par cette intervention et y repenser régulièrement, encore aujourd’hui.

Ce soir-là, le débriefing est rapide. Tous les policiers d’élite sont pressés de rejoindre leurs proches. Pour beaucoup, la nuit est courte, voire inexistante. Pourtant, dès le lendemain, il faudra être sur le terrain. Tous le savent désormais, une partie des commandos est dans la nature.

Retrouvez demain notre troisième épisode sur l’assaut de Saint-Denis, dans l’appartement de Jawad Bendaoud, où sont retranchés deux terroristes.