Haine en ligne : Jugés pour tweets racistes anti-asiatiques, cinq étudiants expriment leurs « regrets »

PROCES Cinq étudiants étaient jugés ce mercredi à Paris pour avoir participé à une campagne haineuse sur Twitter contre la communauté asiatique

Hélène Sergent
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La haine anti-asiatique s'est renforcée à travers le monde depuis le début de l'épidémie de coronavirus.
La haine anti-asiatique s'est renforcée à travers le monde depuis le début de l'épidémie de coronavirus. — Andrej Ivanov / AFP
  • Le 28 octobre au soir, jour de l’annonce du second confinement par Emmanuel Macron, de nombreux messages à caractère raciste et des appels à la violence à l’encontre de la communauté asiatique ont été massivement relayés sur Twitter.
  • À la barre, les cinq jeunes internautes se sont excusés et ont exprimé leurs « regrets », invoquant un sentiment « d’impunité » procuré par les réseaux sociaux.
  • Le parquet a requis à leur encontre un stage de citoyenneté.

Au tribunal judiciaire à Paris,

Rarement, la justice n’aura fait preuve d’une telle diligence. Six mois après la diffusion d’une campagne haineuse massivement relayée sur Twitter et visant spécifiquement la communauté asiatique, cinq jeunes hommes se sont retrouvés, ce mercredi, face aux magistrats de la 17e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris.

Poursuivis pour « injure raciste » ou « provocation publique à commettre une atteinte à l’intégrité physique d’une personne », ces cinq étudiants ont tous fait acte de contrition. Plaidant « l’humour » ou « la colère » provoquée le 28 octobre dernier par l’annonce d’un second confinement, ils ont reconnu des « actes irréfléchis » renforcés par l’illusion d’un sentiment « d’impunité » sur les réseaux sociaux.

« Colère » et « ras-le-bol »

Alexis D., étudiant en apprentissage dans une école d’ingénieur, costume gris et lunettes noires, est le premier à s’avancer à la barre. Le 28 octobre dernier, il est l’un des premiers internautes à réagir à l’annonce du confinement en s’attaquant à la communauté asiatique. « J’en ai rien à foutre, je déteste la Chine, faut les rayer de la carte ces fils de pute, tous les virus viennent de ce pays de merde », écrit-il sur son compte suivi par 30 internautes. « C’était juste une sensation de ras-le-bol (…) J’ai vu d’autres personnes poster ce genre de message, j’ai suivi bêtement », explique le jeune homme. « J’ai pas réfléchi en l’écrivant (…) mais bien sûr c’est insultant », reconnait-il.

Un dépit également avancé par Ziad B., étudiant en 2e année à Science Po et renvoyé pour un message appelant à « chasser des Chinois ». Invité à s’expliquer, il tient en préambule à « s’excuser auprès de toute personne de la communauté asiatique (…) pour cet acte idiot, irréfléchi ». Seul prévenu à être assisté d’un avocat ce jeudi, il explique s’être laissé « guidé par ses émotions » : « Le contexte sanitaire y est pour quelque chose, mais je tiens pas à me cacher derrière cette excuse, je suis pas le seul étudiant pour qui la situation est difficile et provoque de la colère ».

« Humour » et comptes partagés

Ce même soir du 28 octobre, parmi la foule de messages haineux postés sur Twitter, le compte d’Imad R. lance à sa communauté forte de 60.000 abonnés : « Les élèves demain au lycée attrapez tous les gens qui font LV2/LV3 Chinois et tabassez-les ». S’il a reconnu être le créateur et l’administrateur du compte qui a posté ce message, il assure ne pas en être l’auteur. Derrière ces lignes, un certain « Zack », domicilié aux Etats-Unis, avec qui il partage son compte depuis plusieurs mois.

Pendant les investigations, l’étudiant a expliqué : « Je me suis connecté deux ou trois heures après le tweet litigieux, je l’ai supprimé mais j’ai vu qu’il avait été repris. J’ai dit à Zack que c’était pas intelligent de faire ça, que c’était illégal ». À la barre aujourd’hui, il se défend : « Je valide pas du tout ces propos (…) c’est quelque chose de grave, surtout dans cette période d’appels à la haine sur des gens asiatiques ».

Comme Imad, Dylan B. partage lui aussi son compte Twitter mais avec une vingtaine d’autres utilisateurs dont les précédents profils avaient été supprimés par la plateforme. En revanche, face aux magistrats, il assume avoir rédigé ce post : « Mettez-moi dans une cage avec un Chinois, je veux m’amusez avec lui, le brisez [sic], je veux voir toute lueur d’espoir dans ses yeux s’éteindre devant moi ». Et d’ajouter : « Si vous êtes triste dites-vous que y’a pire dans la vie, vous auriez pu être Chinois ».

Suivi par 50 ou 60 abonnés, « tous des amis », Dylan B. invoque un « contexte humoristique » : « Le premier message, c’est une référence à un combattant MMA (Arts martiaux mixtes) qui avait utilisé cette formule. Beaucoup de personnes font ce tweet en démarrant par "mettez-moi dans une cage". Je l’ai fait à ma manière », dit-il avant de s’excuser : « Je voulais pas faire peur à des personnes ». Arnaud K., étudiant en droit, a lui aussi participé à cette campagne pour « charrier » assure-t-il : « Mais tous mes amis m’ont fait comprendre que c’était pas drôle (…) Le plus gros regret que j’ai, c’est d’avoir offensé toute une communauté (…) c’était pas du tout mon intention mais ça change rien, le ressenti est le même ».

Un sentiment d’impunité et le poids des mots

Sur les bancs des parties civiles, plusieurs représentants de la communauté chinoise et asiatique se sont installés. Après les mots des prévenus, ils livrent au tribunal les conséquences concrètes provoquées par ce déferlement raciste et xénophobe. « Nos familles avaient plus peur de se faire agresser dans la rue que du Covid-19 », confie M. Hua.

À l’initiative de cette action judiciaire, la présidente de l’Association des jeunes Chinois de France (AJCF) ajoute : « Depuis un an les personnes asiatiques ont commencé à se faire incriminer car elles sont jugées plus ou moins responsables de cette situation sanitaire ». Elle évoque une crainte « légitime » et souligne le « poids » des paroles postées sur les réseaux sociaux : « Qu’est-ce qui nous dit que quelqu’un ne va pas se servir de cette parole pour passer à l’acte ? ».

« Les mots ne sont pas anodins »

Des inquiétudes concrètes que n’a pas mesurées Ziad B. : « Le fait de ne pas être confronté à une personne directement, d’être derrière un écran, forcément ça nous laisse penser qu’on est libre de dire ce qu’on veut ».

- « Est-ce que vous auriez hurlé les mêmes propos dans la rue ? », demande l’un des assesseurs à Alexis D.

- « Non, parce que dans la rue je sais que des gens peuvent m’entendre et que je peux les blesser. Sur Twitter, j’ai 30 abonnés qui me connaissent », a reconnu le jeune homme.

Une inconséquence dénoncée à la barre par Me Soc Lam, l’avocat de l’AJCF : « J’ai l’impression que ces jeunes n’ont pas conscience aujourd’hui de la gravité des faits et de la dangerosité de leur message. Je le regrette », pointe-t-il, rappelant que tous encourent jusqu’à cinq ans de prison.


Et la présence de représentants de la communauté asiatique a permis de prouver, selon la procureure, que « les mots ne sont pas anodins ». « Notre dossier démontre qu’ils ont un impact sur les autres », a-t-elle estimé avant de requérir à l’encontre des cinq prévenus un stage de citoyenneté. Mise en délibéré, la décision du tribunal sera rendue le 26 mai.